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tres l’ont fait avant nous, bien d’autres le feront plus tard. Il y a trente ans, lorsque l’éminent voyageur Vambéry pénétrait sous un déguisement jusqu’à Samarkande, il y découvrait, pour ainsi dire, un monde nouveau, et son Voyage d’un faux derviche en Asie centrale était pour l’Europe une sorte de révélation ; mais les conditions ont bien changé aujourd’hui. La conquête russe s’est étendue si rapidement sur ces pays longtemps impénétrables, et elle a été suivie d’un tel cortège d’études techniques et savantes dans toutes les branches, qu’il serait outrecuidant à un voyageur européen de venir raconter comme dignes d’intérêt ses propres aventures dans cette région. Un voyage dans ces contrées n’a plus rien d’une exploration et ne présente plus ni imprévu ni danger ; ou, du moins, s’il y reste encore place pour les découvertes à faire dans le domaine de l’archéologie, de l’art, de la géologie ou de l’histoire, et si des explorations spéciales dans ces différens ordres d’études trouvent devant elles un vaste champ incomplètement fouillé, un étranger de passage ne peut avoir la prétention de faire encore dans ce pays une exploration géographique.

Aussi nous garderons-nous de raconter, jour par jour, la partie de notre itinéraire, faite par des routes frayées, à partir de Samarkande jusqu’aux limites orientales des possessions russes, à l’extrémité du Ferganah, bien que cette partie de notre trajet, longue de onze cents kilomètres, et prélude d’autres trajets plus difficiles, ait eu déjà pour origine le point extrême qu’avait atteint Vambéry, point qui, lors de son voyage, apparaissait comme une inconnue presque fantastique et presque inaccessible. Ce détail seul suffit pour indiquer le chemin parcouru par la civilisation depuis trente ans.

D’ailleurs, si mainte localité, traversée dans ce voyage, présente un haut intérêt historique, ethnographique ou pittoresque, rien n’est plus monotone, plus aride et moins intéressant que le trajet qui relie ces points entre eux. Les oasis riches, fertiles, très vastes et où de grandes villes se sont développées, sont éparses sur une immense étendue de pays, et entre elles s’étendent des plaines poudreuses et désertes, dont l’interminable traversée est des plus monotones à effectuer, mais plus monotone encore à décrire.


…Depuis que les Russes ont conquis le Turkestan, ils y ont organisé le mode de transport qui existait déjà dans les steppes de Sibérie, à savoir le voyage au moyen de relais de poste, où les chevaux sont attelés à des traîneaux pendant l’hiver, à des tarantasses pendant l’été. Seulement, ici, la latitude étant plus méridionale qu’en Sibérie, le traîneau devient l’exception, le