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ques semblaient s’expliquer d’une façon si heureuse par les propriétés d’un fluide très subtil, capable de pénétrer tous les corps, de circuler rapidement dans les conducteurs, lentement dans les isolans, que l’existence du fluide électrique fut bientôt admise de ceux mômes qui répugnaient le plus à introduire de telles substances dans les théories de la physique ; l’électricité acceptée, le feu ne pouvait tarder à l’être ; peut-être même ces deux fluides étaient-ils identiques ; du moins, l’abbé Nollet l’enseignait et l’on imprimait des ouvrages qui avaient pour titre : Le spectacle du feu élémentaire ou cours d’électricité expérimentale.

Plusieurs physiciens étaient déjà si bien convaincus de l’existence substantielle du feu qu’ils disputaient entre eux des propriétés de ce corps. Le feu est-il pesant ? Beaucoup le pensaient, car, lorsqu’il s’accumule dans un métal fortement chauffé, le feu le transforme en une terre plus lourde que le métal. Jean Rey, il est vrai, avait, dès 1630, expliqué cet accroissement de poids par la fixation de l’air atmosphérique sur le métal chauffé, et Boerhave appuyait ce sentiment d’expériences délicates ; mais d’autre part, Boyle, en 1670, donne de la pesanteur du feu une preuve qui semble décisive : dans un tube hermétiquement clos, en sorte que rien n’y puisse entrer, sinon la chaleur, il calcine du plomb et il trouve qu’après calcination le plomb a augmenté de poids. D’ailleurs Stahl développe bientôt son système chimique qui exclut l’explication de Jean Rey ; aussi S’Gravesande, Lémery, Musschenbrœck ne font-ils aucune difficulté de regarder le feu comme un corps pesant ; Homberg va jusqu’à penser que le feu, fortement condensé, n’est autre que le soufre.

Bien des philosophes, cependant, hésitaient encore entre la supposition que la chaleur consiste en un mouvement et l’hypothèse que le feu est un corps fluide, lorsque la découverte de la chaleur latente absorbée durant la fusion de la glace vint lever tous les doutes. Comment concilier l’hypothèse cartésienne avec l’observation de Black ? À une livre de glace, les corps extérieurs cèdent toute la force vive que mesuraient quatre-vingts unités de chaleur ; la force vive du mouvement dont vibrent les particules qui composaient cette glace a dû augmenter d’autant ; ce mouvement doit être beaucoup plus vif dans l’eau produite que dans la glace dont elle provient ; si donc la sensation de chaud n’est que l’effet produit sur nos organes par cette vive agitation des parties matérielles, comment l’eau ne nous paraît-elle pas plus chaude que la glace qui l’a fournie ?

Cette objection sembla insurmontable à Black et à la plupart de ses contemporains ; elle mit le comble à la réaction contre les