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Prenons maintenant 10 onces de mercure chauffées à 100 dans la vapeur d’eau bouillante; plongeons-les dans 33 onces d’eau que de la glace fondante avait amenées à 0° ; le mercure va se refroidir et l’eau s’échauffer ; au bout de peu de temps, l’ensemble de ces deux corps aura pris la température commune de 1°. Les 10 onces de mercure ont perdu une certaine quantité de chaleur, précisément celle qu’il serait nécessaire de leur fournir pour les réchauffer de 1° à 100° ; qu’est devenue cette chaleur ? Elle a été cédée aux 33 onces d’eau, qu’elle a échauffées de 0° à 1°. L’observation que nous venons de faire nous permet d’évaluer cette quantité de chaleur ; elle nous apprend que, pour échauffer une livre de mercure de 1° à 100°, il faut lui fournir 33 unités de chaleur. Par le même procédé, nous pourrons connaître la quantité de chaleur nécessaire pour porter une livre de mercure de 1° à 50° ; par différence, nous saurons ce qu’une livre de mercure gagne de chaleur lorsqu’elle s’échauffe de 50° à 100°.

Cette méthode des mélanges est très générale ; elle permet de mesurer, d’évaluer en nombre le gain de chaleur qu’éprouve un corps quelconque pour passer d’une température à une autre. Son premier effet est de ruiner la loi qu’admettaient Nollet, Musschenbrœck, la plupart des physiciens au début du XVIIIe siècle ; des volumes égaux de différentes substances n’absorbent point la même quantité de chaleur pour s’échauffer également ; il faut un peu moins de chaleur pour échauffer de 1° deux pieds cubes de mercure que pour échauffer de la même quantité un pied cube d’eau. Chaque corps, à chaque température, possède une chaleur spécifique ; c’est la quantité de chaleur qu’il faut fournir à l’unité de poids de ce corps pour la porter de la température en question à une autre, plus élevée d’un degré dans l’échelle thermométrique ; c’est à l’expérience qu’il faut demander l’évaluation des chaleurs spécifiques. Cette évaluation va devenir l’un des princi- paux sujets d’étude pour les physiciens de la fin du XVIIIe siècle.

Il ne s’agit plus de savoir si toute ascension d’un même nombre de degrés du mercure dans le thermomètre correspond à un égal accroissement de chaleur dans les corps qui l’environnent ; la question n’aurait plus de sens, à moins que l’on ne précise la nature de ces corps. Aussi cette question, qui avait tant préoccupé les physiciens, change-t-elle de forme après les découvertes de Black et de Crawford ; elle se transforme en celle-ci : un thermomètre donné, un thermomètre à mercure par exemple, éprouve-t-il un même gain de chaleur toutes les fois qu’il monte d’un degré, quelle que soit la région de l’échelle thermométrique où se produit cette ascension ? La méthode des mélanges permet de résoudre