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II



Parmi les divers thermomètres que les physiciens ont imaginés, de Galilée ou de Drebbel à Celsius ou à Linné, en est-il un qui justifie son nom ? En est-il un dont les degrés mesurent la chaleur des corps ?

Pour les premiers physiciens qui usèrent du thermomètre, il ne pouvait être question de mesurer la chaleur; la physique de l’École enseignait que le chaud était une qualité ; cette qualité, tous les corps la possédaient avec une intensité plus ou moins grande ; mais la chaleur n’était pas une quantité, elle ne pouvait être mesurée par un nombre.

Bacon avait déclaré la guerre aux formes substantielles et aux qualités occultes ; il voulait les chasser de la science ; aussi la chaleur n’était-elle pas pour lui une qualité, mais un mouvement : « La définition ou la vraie forme de la chaleur, dit-il, celle qui appartient à l’univers et non au sens seulement, est celle-ci en peu de mots : La chaleur est un mouvement expansif, resserré et existant dans les particules ; cette expansion est d’abord modifiée en ceci : qu’en se faisant en tout sens, elle a néanmoins une tendance vers le haut... » Les scolastiques se refusaient à abandonner, pour cette physique nouvelle, l’antique physique d’Aristote ; on aurait quelque mauvaise grâce à leur en faire un reproche.

Fidèle à sa méthode, Descartes chercha, sous la qualité qu’exprimaient les mots chaud et froid, un élément quantitatif ; il regarda la chaleur comme une grandeur susceptible de mesure.

Selon la philosophie cartésienne, la matière n’est que l’étendue ; on n’y doit rien supposer que ce qu’étudient les géomètres, diverses figures et divers mouvemens ; à des figures et à des mouvemens, on doit ramener toutes les qualités que considéraient les scolastiques, en particulier le chaud et le froid. Qu’est-ce donc que la chaleur ? Une agitation très prompte et très violente des diverses parties du corps échauffé et, principalement, de celles qui sont les plus petites et les plus subtiles, de celles qui constituent pour Descartes le troisième élément.

Un corps est-il frappé par la lumière, la pression en laquelle consiste cette lumière s’exerce sur les diverses parties de ce corps ; mais elle s’exerce irrégulièrement, comprimant tantôt ce point, tantôt cet autre, agissant tantôt à l’une des extrémités d’une particule, tantôt à l’autre bout ; voilà rompu l’équilibre de ces parties, les voilà vivement agitées.