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nécessaire à la péripétie, et la conclusion du drame est la conséquence de ces deux pugilats. N’aurai-je pas raison de définir Richelieu : du piètre Hugo brouillé avec du mauvais Dumas ?

Money veut nous peindre la haute société anglaise, telle qu’elle était en 1840. Elle s’y reconnut, ou plutôt, ses ennemis — ceux qui n’en étaient pas et qui enrageaient — s’empressèrent de la reconnaître dans cette caricature. Est-ce dans un club aristocratique que se passe la scène de jeu du troisième acte ? C’est plutôt dans le parloir de derrière d’un public-house. Un critique très connu, qui représente les idées de toute une classe et de toute une école, constatait le succès qu’obtint la pièce à son début et qu’elle obtient encore à chaque reprise. « Les spectateurs, écrivait-il, venaient applaudir à l’humour d’un scholar. » J’avoue que je n’ai aperçu ni l’humour ni le scholar. En revanche j’ai retrouvé la fausse sensibilité et l’obliquité morale dont j’ai déjà parlé. Alfred Evelyn, que le testament d’un cousin excentrique a enrichi et qui voit le monde à ses pieds après en avoir été dédaigné, se décide à donner sa fortune à l’inconnue qui a envoyé dix livres à sa vieille nourrice, à l’époque où il était lui-même trop pauvre pour lui venir en aide. C’est sur cette sotte recherche qu’il joue son bonheur et que roule la pièce. Il est engagé à une jeune fille qu’il n’aime pas et, pour se débarrasser d’elle, ce miroir de délicatesse, cet Alceste qui méprise le genre humain, fait semblant de se ruiner au jeu devant son futur beau-père. La jeune fille qu’il aime a refusé au premier acte de l’épouser, non parce qu’il était pauvre, mais parce que, pauvre elle-même, elle craignait d’être un obstacle dans sa vie. Mais quelqu’un est entré et elle n’a pas eu le temps de finir sa phrase. Elle la finit au dernier acte, et ils tombent dans les bras l’un de l’autre, d’autant mieux que c’est elle qui a envoyé les dix livres à la vieille nourrice. Eu conscience, il n’y a rien de plus dans Money, si ce n’est une satire sociale que je crois très forcée et le fameux humour que je n’ai pu découvrir.

Bulwer n’était pas de taille à sauver le drame qui s’égarait. De plus forts que lui y eussent échoué. Ce n’est pas des lettrés, des scholars, — puisque le mot vient d’être écrit, — que devait venir le salut. Il fallait que la démocratie prît conscience d’elle-même et fît son éducation. Au lieu du drame artificiel qu’on lui offrait, elle voulait un drame sorti de ses entrailles, né de ses passions, fait à son image et palpitant de sa propre vie. Littéraire, il le deviendrait ensuite, s’il pouvait… Et, pour que tout cela se fît, suivant le mot d’Olivier Saint-John, qui a été souvent répété dans les révolutions de la politique, mais qui convient aussi aux