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fanfaronnade avec le courage. « Les soldats, dit un personnage, doivent mourir et les civils mentir pour la patrie. » On voit, — ceci a quelque valeur historique, — les prisonniers anglais qui vivent grassement dans une ville française, vont au café impérial, font des gorges chaudes des bulletins de la Grande Armée, sans autre obligation que de répondre à l’appel, matin et soir. Ils ont de l’argent, car les logeuses se les disputent et ils paient de petits garçons français pour chanter le Rule Britannia. Il me semble que nos compatriotes, si j’en crois les souvenirs de Garneray, n’étaient pas tout à fait aussi heureux sur les pontons anglais.

Mais, ce qui m’a frappé dans le Prisonnier de guerre, c’est une scène ingénieuse et émouvante. C’est le soir ; un vieil officier prisonnier s’est attardé à sa partie de cartes avec un camarade. Pendant ce temps, sa fille, miss Gary, a un homme dans sa chambre. Ne vous récriez pas : c’est son mari. Partout où notre drame mettrait une séduction, le théâtre anglais met un mariage secret. Tout à coup Gary est violemment appelée par son père. Elle se croit surprise, elle arrive toute pâli. Mais elle est bientôt rassurée : « Que faisais-tu ? Tu as de la lumière chez toi. Tu lisais ? Encore ? Toujours ? Des romans ! Comme s’il n’y avait pas assez de vraies larmes dans le monde, de larmes amères et brûlantes, sans que ces livres menteurs viennent encore nous en tirer des yeux !… Et qu’est-ce qu’il chantait, ton roman ? » Gary ne sait que répondre, et elle raconte… sa propre histoire : le pauvre garçon sans famille et sans fortune, le coup de folie, le cœur donné, puis la main… « Et comment cela finit-il ? — Justement, j’en étais là. — lié bien, moi, je vais te le dire, comment cela finit. Un beau jour, le père les surprend, on croit qu’il va se fâcher. Pas du tout : il s’essuie les yeux et il pardonne. » Le tendre visage de Gary rayonne d’espoir. « Vous croyez, père, que c’est là le dénouement ? Vous me le promettez ? — Je te le promets. » Elle est près de tomber à genoux. Derrière la porte entr’ouverte où brille la lueur d’une bougie, l’autre n’attend qu’un mot pour se précipiter. « Ah ! par exemple, dans la vie, c’est autre chose. Si c’était moi !… — Que feriez-vous ? — Oh ! d’abord, je le tuerais comme un chien, lui, et quant à toi… Mais tout cela est trop affreux pour qu’on y pense… Parlons d’autre chose. » Et il lui raconte qu’il lui a trouvé un mari. Naturellement elle se débat, et le vieillard reprend sa colère. « Ce sont ces maudits romans qui te tournent la cervelle. Tiens, je veux les brûler sur-le-champ. » Et il marche vers la porte derrière laquelle tremble l’amant de Gary. C’est là du théâtre d’autrefois ; cela date du temps où l’on faisait du drame avec des moyens de vaudeville. Pourtant je