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les sociétés coopératives. L’un et l’autre systèmes seront ainsi amenés à multiplier leurs efforts, pour conquérir ou conserver la faveur des consommateurs qui profiteront de la concurrence. Les résultats acquis déjà sont d’un haut intérêt. Dans les quartiers excentriques où elle fonctionne, la Moissonneuse a causé, il est vrai, la faillite d’un certain nombre de boulangers, mais elle a fait baisser d’un quart le prix du pain.

Le taux de vente des diverses marchandises est établi par le conseil en majorant de 13 à 14 pour 100 le taux d’achat. Les frais généraux absorbent à peu près la moitié de cette majoration, — 6 1/2 pour 100, — le reste, 7 pour 100, constitue un bénéfice, distribué tous les six mois aux adhérens dans la proportion des sommes dépensées par eux durant le semestre. Pour être adhérent, il suffit de verser 1 fr. 40. L’exiguïté de cette somme a été critiquée à tort, à la Chambre, par certains députés de Paris ennemis des coopératives. Ceux qui prétendent obliger l’ouvrier à acquérir une action de 50 ou de 100 francs avant d’avoir le droit d’économiser cinq centimes sur une livre de viande ne doivent point être regardés comme des amis du peuple. La meilleure preuve que la Moissonneuse ne voit pas en ses acheteurs de simples passans, c’est qu’elle les oblige à devenir actionnaires, mais sans rien débourser. Elle porte à l’avoir des nouveaux sociétaires leur part de bénéfice, jusqu’à ce qu’ils soient devenus propriétaires d’un titre de 00 francs. Avec le dividende que procure une consommation annuelle de 500 francs, chacun devient, en moins de deux ans, détenteur de ces 60 francs sans, pour ainsi dire, s’en apercevoir. Ce bien lui est venu non pas en dormant, mais en mangeant.

L’avantage serait, il est vrai, fort contestable si les prix de vente, sur lesquels ce boni est réalisé, se trouvaient plus hauts que le cours moyen des marchandises du quartier. Tel n’est pas le cas : le coopérateur s’approvisionne dans les boutiques de la société à meilleur compte, et souvent de denrées meilleures, — pour la viande par exemple, — que dans les autres magasins. Malheureusement les boucheries ont donné, comme je l’ai dit, certains mécomptes. Pour avoir essayé, pendant un mois seulement, d’acheter du bétail sur pied, l’association a perdu un certain nombre de mille francs. Le rapport se plaint des intermédiaires auxquels il n’a pas été possible d’échapper encore et conclut ainsi : « Cette perte aurait été atténuée dans une certaine mesure si, parmi les administrateurs, il s’était trouvé un citoyen au courant des roueries et des usages du marché. Cela prouve qu’il ne suffit pas d’avoir de la bonne volonté si l’on ne possède pas en même temps une dose suffisante de pratique. »