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fondateur des bouillons, ne m’en a pas, du reste, garanti l’exactitude. Ce n’est peut-être qu’un souvenir historique des fiers étaliers de l’ancien régime. Quelle qu’ait été l’origine, politique ou économique, de la liberté des boucheries, elle donna tout d’abord de si mauvais résultats que le gouvernement, pour restreindre leur nombre, revint à un système mixte : vers 1850, pour avoir droit de s’établir, chaque boucher devait acheter deux maisons et en fermer une. On comptait ainsi faire disparaître peu à peu l’encombrement des petits étaux. Pourtant il n’y avait alors à Paris que 801 bouchers ; aujourd’hui il y en a 2 110. La différence entre les prix des animaux sur pied et ceux de la viande au détail ne provient donc pas seulement de la baisse des peaux, des laines, du suif, — valant naguère 1 franc, maintenant 0 fr. 40 le kilog. — de tous ces accessoires qu’en langage technique on appelle « le cinquième quartier ». Cet écart est motivé par l’organisation défectueuse du commerce : trop de compartimens, de degrés successifs séparent le pot-au-feu parisien du paysan berrichon, charentais ou normand. Un bœuf doit nourrir trop de monde avant d’être mangé effectivement.

Au marché de la Villette, les ventes se font par bandes de 10 à 20 bœufs et de 100 à 200 moutons, chaque bande ayant en vedette des têtes de choix pour faire passer les sujets médiocres. Cet état de choses a créé et maintient le commerce de gros, les « chevillards », ou bouchers abatteurs, qui revendent aux bouchers de détail ; à moins que ces derniers ne se fournissent aux Halles, où s’opère d’ailleurs un échange permanent entre les bas morceaux, repoussés par les quartiers riches, et les morceaux de choix, abandonnés par les quartiers pauvres qui n’ont pas de quoi les payer. Il faudrait qu’un individu ou une association possédât à la fois des magasins aux Champs-Elysées et aux Batignolles, dans le faubourg Saint-Germain et dans le faubourg du Temple, qu’il achetât des lois de bestiaux sur pied, les abattît et les débitât en totalité, expédiant ses « filets » à droite, ses « palerons » à gauche, utilisant ses « issues » en exerçant à lui seul toute l’industrie de la « chair », à la fois boucher, tripier et charcutier.

Périlleuse tentative, disent les gens du métier ; le commerce de boucherie est le plus difficile de tous. Le contrôle de nombreux étaux disséminés dans Paris serait impraticable. La distance entre les prix des diverses qualités de viande est très variable : énorme en hiver, insignifiante en été. La marchandise invendue subit, de jour à autre, une déperdition de poids sensible ; on ne peut, du reste, en conserver aucune sans avarie. Tous les bouchers ont aujourd’hui leurs glacières ; mais, en fait,