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Les modes d’achat, de préparation ou simplement de mise en œuvre ne sont pas aussi exactement connus pour toutes les denrées ; la conservation des œufs, par exemple, est un problème dont la science alimentaire cherche encore la solution parfaite. D’une saison à l’autre le prix des œufs varie de 0 fr. 70 à 1 fr. 20 la douzaine. Le jour où l’on sera parvenu à maintenir, durant l’automne et l’hiver, la qualité des œufs pondus depuis le printemps, — espérance qui n’a rien de chimérique ; il s’est produit en ce siècle des découvertes plus extraordinaires, — le prix de cet aliment nutritif baissera, pendant la saison mauvaise, au profit des consommateurs urbains, et les producteurs ruraux seront à l’abri des pertes considérables que la gelée, la pourriture, diverses maladies, leur font subir sur les 300 millions d’œufs apportés chaque année aux Halles de Paris. On s’applique toujours plus ou moins aujourd’hui à rendre imperméable la coquille, naturellement poreuse et accessible aux influences extérieures : — on sait que les œufs, posés sur des fleurs, s’imprègnent de leur parfum ; ils font des omelettes à la rose ou au jasmin. — Dans une coquille imperméable l’œuf, sorte d’animal vivant, désormais privé d’air, s’étiole, meurt et se décompose. Les recherches de l’industrie ont pour but de lui laisser assez d’air pour vivre et pas assez pour se gâter.

Quoiqu’elles opèrent sur des articles offrant une grande insécurité, par suite des spéculations de bourse dont plusieurs sont l’objet quotidien, les grandes organisations alimentaires deviennent, par la modicité de leur bénéfice, les servantes presque gratuites du public ; elles n’ont même pas pour elles ce « sou pour livre » dont leur entrée en scène a frustré les « gens de maison ». Le profit net de la maison Potin n’atteint pas 4 pour 100 du chiffre de ses affaires. Et ce profit semble plus minime encore si l’on songe qu’il rémunère les deux fonctions distinctes du commerçant et de l’industriel. Cette concentration en une seule personne des deux métiers d’artisan et de marchand existait à l’époque déjà ancienne où chacun vendait ce qu’il fabriquait lui-même. On reconnut alors que beaucoup de choses étaient mieux faites et à meilleur marché dans des ateliers spécialisés, et par quantités notables. Ainsi se créa l’industrie moderne à gros capital, à grand outillage. Le dernier terme de révolution, que l’on commence à apercevoir, sera sans doute la réunion future de ceux qui furent longtemps séparés, sous l’aspect de fabrications colossales fondues avec des commerces géans. En utilisant mieux ainsi les forces et l’activité de l’homme, on procurera à tous une plus grande somme de bien-être pour la même somme de travail ; C’est le progrès réel qui s’accomplit en silence, dans le monde