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minimes, à des marchands en gros, il paie tout fort cher, et qu’il lui est impossible de vendre à bas prix.

Avec le mécanisme nouveau, des stocks énormes sont nécessaires ; il faut à Potin, en marche normale, près de 10 millions de fonds de roulement. Ses comptoirs de détail, seule partie de l’entreprise connue du public, ne sont qu’une façade. Cette façade s’appuie sur de vastes entrepôts et sur des usines complexes, qui sont tout le secret du succès, destinées qu’elles sont à ne pas produire de bénéfice direct, mais permettant au magasin de vendre à un prix beaucoup moindre, puisqu’il économise le gain du fabricant.

La maison Potin a successivement monté quatre de ces manufactures : à Epernay elle brasse des raisins et prépare son vin de Champagne ; à Miramon (Lot-et-Garonne) elle confectionne les pruneaux, dont elle écoule 900 000 kilos par an ; à Pantin, à la Villette, elle manipule le reste de ses marchandises. À Pantin, des bâtimens spacieux, couvrant plus d’un hectare, ont succédé à l’affreuse petite boutique de la rue Sainte-Marguerite, où le fondateur avait primitivement établi son dépôt extra muros. A l’entrée se trouve le laboratoire de chimie pour le contrôle des matières premières ; à gauche, les chais de vins ordinaires, dont il s’expédie 120 pièces par jour, qui proviennent en grande partie de propriétés possédées, à titre privé, par les membres de la famille Potin, en Tunisie, Algérie, Bordelais et dans le midi de la France. A droite, la distillerie : en des fûts de chêne verni sont rangés côte à côte liqueurs et sirops de toute essence et de tout nom.

Une seule manque, dont la composition est toujours inconnue : c’est la chartreuse. Ce siècle de publicité et d’indiscrétions n’a pu arracher leur secret aux moines. Chacun sait qu’ils emploient des eaux-de-vie de vin vieilles et supérieures : élément si important que, lors des ravages du phylloxéra, désespérant de trouver des cognacs sincères, les chartreux organisèrent pour leur compte une bouillerie de vin en Algérie. — Un pareil soin serait superflu depuis que l’on a pu se procurer, en 1894, dans nos départemens méridionaux, des armagnacs authentiques pour 60 francs l’hectolitre. — On sait de plus qu’il entre, dans la confection de la chartreuse, de l’hysope, de la camomille, diverses autres plantes ; mais on ne pourrait dire en quelle proportion, et l’analyse ne le révèle pas. Aucune imitation n’atteint la perfection du modèle.

La recette des autres liqueurs étant à la portée de tout fabricant, il lui suffit, pour réussir, de soigner les « alcoolats », c’est-à-dire les infusions de fruits ou d’herbes qui communiquent la saveur et qui, préparées trois ou quatre années à l’avance, attendent