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1 centime et demi pour le transport, le négociant de la capitale qui vend le sel quatre sous gagne un peu moins d’un demi-centime. « Ce qui sert et entretient la vie, disait, dans une adresse au ministre des finances, un représentant notable du commerce alimentaire, se divise en deux catégories : la consommation interne (nourriture) et la consommation externe (vêtemens). A la première l’Etat demande jusqu’ici presque tous les revenus qui lui sont nécessaires, tandis que la seconde demeure indemne. » L’une supporte à peu près tout, l’autre à peu près rien. Le pétitionnaire concluait à ce qu’il fut établi un droit modéré par 100 kilogrammes d’étoffe à l’entrée des villes ou à la sortie des fabriques, comme il est perçu un droit d’accise par 100 litres de vin. Le principe en lui-même n’a rien d’injuste. Il est toutefois improbable que l’assiette des contributions soit remaniée en ce sens, ni que les impôts indirects sur la « consommation interne » soient de longtemps supprimés ou adoucis. Le commerce et l’industrie ne doivent donc compter que sur leurs propres forces pour obtenir un bon marché relatif, en économisant sur l’achat ou la manufacture des denrées, sur leur transport ou leur distribution, sur cette quantité de frais accessoires que l’on appelle avec raison des « faux frais » ; frais parasites qui s’accrochent aux marchandises et les renchérissent sans les améliorer.

Les procédés mis en usage pour atteindre le but proposé, assez semblables à ceux que les magasins de nouveautés ont employés dans le vêtement et l’ameublement, et qui ont été décrits l’année dernière[1], en diffèrent sur un point notable : les novateurs, dans l’alimentation, fabriquent eux-mêmes la plupart des objets de leur négoce, et concentrent en une seule main, sous une direction unique, le rôle de producteur et celui de marchand.

Quoique la nation dépense pour se nourrir quatre fois plus que pour se vêtir ou se meubler, et que par suite l’importance des grands magasins alimentaires dût être beaucoup plus grande que celle des grands magasins de nouveautés, leur chiffre d’affaires est jusqu’à présent beaucoup moindre. Le plus notable d’entre eux, la maison Potin, ne dépasse pas encore 45 millions de francs de vente annuelle, tandis que le Bon Marché arrive déjà à 150 millions. A cela plusieurs causes : les besoins de la table sont journaliers ; chacun, pour s’approvisionner en peu de temps, doit s’adresser au détaillant le plus proche, quitte à payer plus cher. La plupart des denrées de première nécessité, telles que le pain, la viande ou le poisson frais, ne sont susceptibles ni de conservation, ni de réexpédition à longue distance par petites quantités. Elles

  1. Voir, dans la Revue du 1er juillet 1894, les Magasins de nouveautés.