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essayer de rompre l’investissement et, s’ils y réussissaient, aller s’établir quelques jours soit sur un nœud de routes maritimes voisin des côtes d’Europe, soit à l’entrée des grands ports de commerce de l’adversaire, pour y prendre, d’un rapide coup de filet, les paquebots trop confians dans l’inaction forcée de notre escadre.

Cette tactique, à laquelle il faut espérer que nous ne serons pas réduits, fut justement celle de l’Augusta, au commencement de 1871. Mais la disproportion des forces était trop grande et la corvette allemande ne disposait pas d’une vitesse suffisante. Elle ne tarda pas à être bloquée elle-même à Vigo, avant d’avoir pu nuire sérieusement.

L’émotion fut grande, pourtant, et après tout assez justifiée. Cette tentative, rapprochée de l’attitude de défensive active dont l’escadre prussienne ne s’était pas départie, dénotait chez la toute jeune marine de nos vainqueurs l’heureuse alliance de la fermeté persévérante et de l’audace réfléchie dans l’exécution d’un plan bien arrêté.

Tout ce que nous voyons depuis vingt-cinq ans prouve que ces qualités sont celles qui domineront dans la mise en jeu des forces navales de l’empire allemand, autant que dans la conduite de ses armées.

Il faut conclure. Mais nous contenterons-nous, en finissant, de cette simple constatation que le type idéal du croiseur du large diffère sensiblement de celui de l’éclaireur d’escadre ? — Il nous paraît que nous devons tirer de notre étude un enseignement plus élevé, d’une portée plus générale, et qui mon Ire comment toutes ces questions se rattachent à des principes essentiels qu’il convient de ne jamais perdre de vue.

Il y a quelques années, nous disions ici-même (Tactique de marche de l’année navale) qu’en spécialisant l’armement d’un navire, c’est-à-dire en spécialisant son rôle au point de vue tactique, on se trouve conduit, soit à sacrifier le rendement normal de son déplacement, — et ce serait le cas du « bélier », si l’on n’utilisait pas au moyen de l’artillerie le déplacement nécessaire à la création de la force vive qui peut seule donner au coup d’éperon toute son efficacité ; soit à réduire ses dimensions, et par conséquent son rayon d’action, — c’est le cas du « torpilleur » qui n’est que torpilleur, et que sa faiblesse rive à la côte où un refuge lui est ménagé.

Nous avions montré par là, au risque d’un désaccord complet avec l’école dont il a été déjà question à deux reprises, quels inconvéniens résulteraient d’une indiscrète application du