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composer ce groupe de navires ayant tous la valeur tactique de celui dont nous déterminions tout à l’heure les facultés essentielles. Ce serait de la force perdue, puisqu’il ne s’agit ici ni d’arrêter l’ennemi, ni même de retarder sa marche. Notre éclaireur-type de 6 000 tonnes sera simplement le noyau d’une escadrille de petits bâtimens, les corvettes, les bricks d’autrefois, les torpilleurs de haute mer et les avisos-torpilleurs d’aujourd’hui.

Représentons-nous les opérations de 1805 exécutées quatre-vingt-dix ans plus tard, et supposons que Nelson, toujours posté à la Maddalena, ait détaché devant Toulon un éclaireur du type Talbot (5 800 tonneaux) accompagné de 4 avisos ou contre-torpilleurs rapides tels que l’Ardent (250 tonneaux).

Le premier de ces avisos est expédié pour prévenir l’amiral anglais que la flotte française a pris la mer et qu’elle fait route au Sud. En même temps la petite division d’observation prend chasse devant les nôtres, refusant le combat avec l’escadre légère, sans perdre de vue le gros de l’armée.

Celle-ci oblique dans le Sud-Ouest : deuxième aviso détaché à la Maddalena. Grâce à sa vitesse de 27 nœuds, il arrivera peut-être à temps pour empêcher le faux mouvement sur Cugliari ; au moins rattrapera-t-il bien vite l’escadre anglaise, et Nelson, averti, ne manquera pas de rebrousser chemin. Les Bouches franchies, il prendra la ligne d’opération Bonifacio-cap de Gate, qui coupe toutes celles que les Français peuvent suivre.

Cependant Villeneuve, toujours observé de loin par le Talbot et ses deux estafettes, — c’est leur vrai nom, — dépasse les Baléares et s’arrête devant Carthagène, où il veut recueillir la division Salcedo. Cette fois le commandant du Talbot doit utiliser sans hésitation les deux avisos qui lui restent. L’un d’eux remontera, par l’est des Baléares, vers l’escadre de Nelson, qui ne peut plus être bien loin ; l’autre ira devant Cadix informer l’amiral Orde de la situation. Il faut que cet officier général soit prêt à rallier Nelson devant Carthagène, si une concentration des forces anglaises y devenait nécessaire. Il faut aussi qu’il se garde d’une surprise où sa division courrait des risques sérieux. Dans les deux cas, il ralliera Gibraltar et y attendra de nouveaux avis.

Villeneuve n’a pas fait sa jonction avec Salcedo, qui demandait deux jours pour embarquer ses poudres. Il a repris le large et fait route, le cap de Gate doublé, sur le détroit. Mais les quelques heures perdues devant Carthagène ont été mises à profit par son ardent adversaire : au loin derrière la flotte française, derrière le Talbot même, voici les fumées des vaisseaux de