Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/802

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les sources naturelles de renseignemens sur la concentration, sur les préparatifs de l’adversaire, qui continuera par l’observation ininterrompue de ses mouvemens, et qui ne se terminera que lorsque les éclaireurs remettront pour ainsi dire la flotte ennemie entre nos mains, après nous avoir donné, par une succession d’avis judicieux, la faculté de prévenir ses entreprises.

Que les navires chargés de réaliser cette conception nouvelle… et si familière pourtant aux officiers qui prirent part aux grandes guerres du siècle dernier ! que ces navires, disons-nous, soient différens de ceux dont le rôle se borne à guetter, à quelques milles en avant de notre escadre, l’arrivée de l’ennemi, c’est ce que l’on pressent aisément. Les « éclaireurs tactiques » — qu’on nous passe cette expression, incorrecte, mais commode, — sont de petits bâtimens de 400 à 1 200 tonnes, à qui l’on ne peut demander que de la vitesse, afin que la transmission des avis utiles au commandant en chef se fasse dans le moins de temps possible. Les « éclaireurs stratégiques » doivent être de tout autres navires, plus autonomes que les premiers, parce que leur rayon d’action est plus étendu, et que le lien qui les rattache à l’armée navale est plus relâché, par conséquent mieux pourvus de charbon, d’eau douce, de vivres, mieux armés aussi, mieux protégés même, et, en définitive, d’un déplacement beaucoup plus fort.

Insistons un peu sur ces divers points et précisons les contours de ce croquis assez vague des éclaireurs stratégiques, les seuls qu’il y ait intérêt à comparer aux croiseurs, parce que ce sont les seuls que l’on puisse confondre avec ces derniers.

Et pourquoi, tout d’abord, seraient-ils si différens des éclaireurs tactiques, des « mouches », pour leur restituer leur nom vulgaire ? L’ennemi ne serait-il pas aussi bien surveillé, et à moins de frais, par un petit bâtiment rapide qui aurait en tout cas sur un grand navire l’avantage de passer plus inaperçu ? — Non, malheureusement.

S’il s’agit de rester en observation devant le port où se mobilisent et se concentrent les forces navales de l’adversaire, il faudra fréquemment lutter contre la mer, contre les vents qui battront en côte. C’est une tâche bien difficile pour un aviso que son plat-bord trop bas défend mal contre les lames, dont la coque est frêle, dont la masse est trop faible pour qu’il se puisse maintenir aux environs du point choisi sans consommer beaucoup de combustible. D’ailleurs, si réduites que soient les dimensions de l’observateur, il n’y a aucune chance qu’il échappe aux investigations des grand’gardes de l’adversaire, auxquelles les sémaphores auront tôt fait de le signaler. Et d’autre part, comment verrait-il