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Heureusement qu’en raison même de la dissémination de nos croiseurs sur des espaces de mer considérables, il ne pourra détacher à la recherche de chacun d’eux qu’un nombre très restreint des siens. Encore faudra-t-il qu’il les choisisse de taille à soutenir individuellement la lutte, ce qui limite singulièrement le choix.

Mais enfin, un peu plus tôt, un peu plus tard, une rencontre est inévitable. À quoi nous résoudrons-nous, lorsqu’elle se produira ? Accepterons-nous le combat, ou bien nous déroberons-nous, quitte à établir notre croisière à 200 ou 300 milles plus loin ?

Nul doute sur la réponse à cette question : le résultat de l’engagement dût-il être heureux pour nous que ce serait encore payer trop cher une satisfaction d’amour-propre, si des avaries, d’autant plus graves que notre croiseur est éloigné de toute base d’opérations, venaient le mettre dans l’impossibilité de continuer sa croisière.

Ayons le courage de le dire : le preneur de paquebots doit avoir pour règle de n’accepter le combat que s’il possède une indiscutable supériorité sur son adversaire ; et même dans ce cas, il doit conduire l’engagement de manière à éviter les avaries majeures.

Mais, puisqu’il s’agira le plus souvent de se dérober, quelle vitesse faut-il atteindre ? — Ici nous avons une base précise, l’Angleterre ayant en chantiers deux énormes croiseurs de 14 000 tonnes, le Powerful et le Terrible, qui fileront, affirme lord Brassey, 23 nœuds, peut-être 24 (44 kilomètres) à l’heure.

À la vérité ce chiffre semble bien un peu exagéré, et l’on se demande si nos voisins, gens avisés, n’essaient pas de décourager toute concurrence. Comment faire mieux, en effet ? — Nous ferons aussi bien ; et cela peut suffire à qui sait quel déchet subissent les vitesses prévues, les vitesses obtenues même aux essais, des bâti mens anglais.

Au demeurant, de deux navires de même type qui se rencontrent après un séjour à la mer de quelque durée, le plus rapide n’est pas celui dont les expériences de recette ont donné les plus brillans résultats, mais bien celui dont l’appareil moteur a été conduit le plus habilement, et dont la carène s’est conservée la plus propre, la plus lisse.

Ce dernier point vaut qu’on s’y arrête. Avant de dépêcher ses plus fins coureurs à la recherche des nôtres, l’adversaire n’aura pas manqué de faire nettoyer leurs œuvres vives. Rien de plus aisé pour lui, ayant eu depuis si longtemps l’attention de jalonner toutes les grandes routes de l’Océan de bases secondaires