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temps de guerre, le seul souci des hommes d’État anglais, et la tâche d’assurer le ravitaillement en matières premières de leur immense usine leur paraîtrait probablement aussi grave. Car si l’on peut accepter que la production industrielle subisse un ralentissement dans une crise de ce genre, tout le monde reconnaît que l’arrêt complet des manufactures serait une affreuse calamité. Outre la misère, et par conséquent les désordres qui en résulteraient, il faudrait compter avec la nécessité de se fournir au dehors des objets manufacturés indispensables à la vie d’une population nombreuse et exigeante ; indispensables même, au bout de quelque temps, en raison de l’appauvrissement progressif des magasins, aux forces organisées pour la défense du pays.

Eh bien ! sait-on quelle est la valeur des matières premières importées en Angleterre en 1893, et destinées à être mises en œuvre sur son territoire ? Cette valeur atteint 3 milliards et demi de francs.

Les textiles absorbent dans ce chiffre total 1 925 millions ;

Les cuirs et peaux brutes, 165 millions ;

Les métaux, 410 millions ;

Les huiles, les produits chimiques, les graines, etc., 520 millions.

Veut-on enfin avoir une idée d’ensemble des richesses que la Grande-Bretagne confie à la mer ? La valeur des marchandises transportées par sa flotte de commerce oscille chaque année autour de 15 milliards de francs, et cette flotte elle-même on a coûté 10. En tout 25 milliards !

On conviendra sans doute que ces chiffres mettent en belle lumière l’importance que prendrait aujourd’hui la guerre de croisière. Au reste le gouvernement britannique prévoyait depuis longtemps ces graves conséquences de l’essor industriel de la nation et de l’insuffisance progressive du rendement du sol. Il avait discerné que le libre-échange, qui favorise la spécialisation par contrée des industries et des cultures, suivant les propriétés du sol et les facultés de l’homme, ne tarderait pas, tout en enrichissant l’Angleterre, à la rendre tributaire de l’étranger pour les matières premières autant que pour les denrées nécessaires à l’alimentation.

De là sa préoccupation constante d’assurer la liberté des mers ; de là ses efforts, au Congrès de Paris, pour l’abolition de la guerre de course, efforts qui eussent été couronnés d’un complet succès si les cabinets de Washington et de Madrid, plus avisés que les hommes qui conduisaient alors la politique française, n’avaient refusé de se dessaisir d’une arme précieuse ; de là, quelques