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sur les méthodes de guerre qui pouvaient présenter le plus de chances de succès dans un conflit maritime. A ne considérer que le résultat de la formidable lutte du commencement du siècle, la guerre de croisière ne semblait pas nous offrir des bénéfices bien assurés, et certains officiers, versés dans l’histoire maritime, firent remarquer qu’à ce jeu nous avions perdu plus encore que nos adversaires. C’était vrai. Mais il ne suffit pas d’établir un fait historique, il faut l’interpréter. La guerre de croisière ne fut sérieusement entreprise en France qu’après la ruine de nos escadres et la perte de nos établissemens extérieurs, c’est-à-dire au moment où nos bâtimens isolés allaient être privés de leurs appuis naturels et où l’Angleterre restait libre de consacrer toutes ses ressources à l’organisation de ses contre-croisières.

À ce titre seul, plus difficile à pratiquer pour nos pères qu’elle ne le serait pour nous, la méthode de guerre dont nous parlons ne pouvait avoir, il y a cent ans, l’efficacité qu’elle aurait aujourd’hui, parce que la situation économique de la Grande-Bretagne était tout autre. Sans doute l’incertitude et la rareté des arrivages atteignaient gravement déjà la richesse des négocians de la Cité, la prospérité des manufacturiers de Manchester, le bien-être des classes riches. Mais outre que ni les échanges extérieurs, ni les industries qu’alimentent les matières premières exotiques n’avaient pris le développement prodigieux qu’on admire de nos jours, la subsistance immédiate de la nation n’était pas compromise par l’arrêt de la navigation commerciale. Beaucoup moins peuplée, cultivée d’une manière différente, l’Angleterre de 1810 pouvait à la rigueur se suffire et nourrir ses habitans du blé qu’elle récoltait sur son territoire européen. Elle ne le peut plus aujourd’hui, et c’est un fait reconnu, dont il est à peine nécessaire d’appuyer de quelques chiffres la constatation, que sa vie dépend, comme celle de la Rome des empereurs, de la régularité des convois de céréales.

En 1893, par exemple, elle importait :

60 millions d’hectolitres de froment, sur les 85 millions d’hectolitres qui sont nécessaires à la consommation.

Ou, si l’on veut, d’une manière plus générale :

120 millions de quintaux métriques (à 100 kilog. le quintal) de matières alimentaires : céréales et farines, sucres bruts et raffinés, beurres, fromages, thés, cafés, viandes fraîches et conservées, poissons frais et salés. Encore laisse-t-on en dehors de cette statistique plus de 400 000 têtes de bétail, des millions de caisses d’œufs et 1 200 000 hectolitres de spiritueux et de vins.

Mais l’alimentation directe de la nation ne serait pas, en