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— jusque dans les paroles de sa mère, l’accusation n’avait-elle pas réapparu à plusieurs reprises ?

George pensait, non sans amertume : « Tout le monde ici me juge de la même manière. En somme, personne ne me pardonne ni ma renonciation volontaire à mon droit d’aînesse, ni l’héritage de mon oncle Démétrius. J’aurais dû rester à la maison pour surveiller la conduite de mon père et de mon frère, pour défendre le bonheur domestique ! Selon eux, rien ne serait arrivé si j’étais resté ici. Par conséquent, le coupable c’est moi. Et maintenant, j’expie. » À mesure qu’il avançait vers la villa où s’était retiré l’ennemi contre lequel il avait été poussé par des moyens extrêmes, pour ainsi dire à coups de trique, sans miséricorde, il sentait peser sur lui une sorte d’exigence vexatoire, il éprouvait ce genre d’indignation que provoque une contrainte inique. Il se faisait à lui-même l’effet d’être victime de gens cruels et implacables qui ne voudraient lui faire grâce d’aucune torture. Et le souvenir de certaines phrases prononcées par sa mère le jour de l’enterrement, dans l’embrasure de la fenêtre, au milieu des larmes, augmentait son amertume, aigrissait son ironie : « Non, George, non ! ce n’est pas à toi de t’affliger, ce n’est pas à toi de souffrir !… J’aurais dû me taire, j’aurais dû ne te dire rien… Ne pleure plus. Je ne peux pas te voir pleurer. » Et pourtant, depuis ce jour-là, on ne lui avait épargné aucune torture. Cette petite scène n’avait amené aucun changement dans l’attitude de sa mère à son égard. Les jours suivans, elle n’avait pas cessé de se montrer courroucée et violente : elle l’avait condamné à entendre sans répit les accusations vieilles et nouvelles, aggravées de mille particularités odieuses ; elle l’avait presque condamné à compter sur son visage, une à une, les marques des souffrances endurées ; elle lui avait presque dit : — « Regarde comme mes yeux sont brûlés par les pleurs, comme mes rides sont profondes, comme mes cheveux ont blanchi aux tempes. Et que serait-ce, si je pouvais te montrer mon cœur ! » A quoi donc avait servi la grande angoisse de ce jour-là ? Sa mère avait donc besoin de voir couler des larmes brûlantes pour s’émouvoir de pitié ? Elle ne sentait donc pas tout ce qu’avait de cruel le supplice qu’elle infligeait inutilement à son fils ? « Oh ! comme ils sont rares sur terre, ceux qui savent souffrir en silence et accepter le sacrifice en souriant ! » Bouleversé et exaspéré encore par les excès récens dont il avait dû être témoin, envahi déjà par l’horreur de l’acte décisif qu’il était sur le point d’accomplir, il en venait ainsi jusqu’à méconnaître sa mère, jusqu’à se plaindre qu’elle ne sût pas souffrir avec assez de perfection.

À mesure qu’il avançait sur le chemin (il n’avait pas voulu