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terreur, avec désespoir ; et le bassin l’avait fasciné, et il s’était senti attiré par cette eau pâle et douce qui reflétait le ciel, par cette eau où, quelques mois auparavant, il avait failli périr…

« C’était en l’absence de Démétrius, » se rappela-t-il encore.

— George, sens-tu ce parfum ? disait Christine. Je vais cueillir un bouquet.

L’air, imprégné d’une humidité chaude et chargé d’effluves, disposait à la nonchalance. Les grappes de lilas, les fleurs d’oranger, les roses, le thym, la marjolaine, le basilic, le myrte, toutes les essences se mariaient en une essence unique, délicate et forte.

Tout à coup, Christine demanda :

— Pourquoi es-tu si pensif ?

Le parfum venait de susciter en George un grand tumulte, une insurrection furieuse de toute sa passion, un désir d’Hippolyte qui avait mis en déroute tout autre sentiment, mille souvenirs de délices sensuelles qui lui couraient dans les veines.

Christine reprit, souriante, hésitante :

— Tu penses… à elle ?

— Ah ! c’est vrai, tu sais ! dit George, qui rougit soudain sous le regard indulgent de sa sœur. Et il se rappela qu’il lui avait parlé d’Hippolyte l’automne précédent, en septembre, lors du séjour qu’il avait fait chez elle aux Tourelles de Sarsa, sur le bord de la mer.

Toujours souriante, toujours hésitante, Christine demanda encore :

— Est-ce que… tu l’aimes toujours ?

— Toujours.

Sans en dire davantage, ils se dirigèrent vers les orangers et les citronniers, troublés tous les deux, mais de manière différente : George sentait ses regrets augmentés par la confidence faite à sa sœur ; Christine sentait revivre confusément ses aspirations étouffées, à la pensée de cette femme inconnue qu’adorait son frère. Ils se regardèrent, se sourirent ; et cela atténua leur peine.

Elle fit quelques pas rapides vers les orangers, en s’exclamant :

— Mon Dieu ! que de fleurs !

Et elle se mit à cueillir des fleurs, les bras levés, en agitant les rameaux pour casser de petites branches. Les corolles lui tombaient sur la tête, sur les épaules, sur le sein. Alentour, le sol était tout jonché de pétales, comme d’une neige embaumée. Et elle était charmante en cette attitude, avec son visage ovale, avec son cou long et blanc. L’effort lui animait le visage. Tout à coup elle laissa retomber les bras, pâlit, pâlit, chancela comme prise de vertige.