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la cire, péniblement, le corps courbé, d’un pas inégal, les yeux tendus vers la flamme mobile.

Ces enfans le préoccupèrent longuement. Plus tard, lorsqu’il écrivit à sa maîtresse, il développa l’allégorie secrète que son esprit curieux d’images avait confusément entrevue : « L’un d’eux, malingre, jaunâtre, s’appuyait d’un bras sur une béquille et recueillait la cire dans le creux de la main libre, en se traînant à côté d’une sorte de géant en capuce dont le poing énorme serrait brutalement le cierge. Je les vois encore tous les deux, et je ne les oublierai pas. Peut-être y a-t-il en moi-même quelque chose qui me fait ressembler à cet enfant. Ma vie réelle est au pouvoir de quelqu’un, d’un être mystérieux et inconnaissable qui l’étreint dans une poigne de fer ; et je la vois qui se consume, et je me traîne après elle, et je me fatigue pour en recueillir au moins quelques gouttes ; et chaque goutte qui tombe brûle ma pauvre main. »


III

Sur la table, dans un vase, il y avait un bouquet de roses fraîches, des roses de mai, que Camille, la sœur cadette, avait cueillies au jardin. Autour de la table avaient pris place le père, la mère, le frère Diego, Albert, le fiancé de Camille, invité ce jour-là, et la sœur aînée Christine avec son mari et son enfant, un blondin au teint de neige, frêle comme un lis qui s’entr’ouvre.

George était assis entre son père et sa mère.

Le mari de Christine, don Bartolomeo Celaia, baron de Palleaurea, parlait d’intrigues municipales sur un ton agaçant. C’était un homme qui approchait de la cinquantaine, sec, chauve au sommet de la tête comme un tonsuré, le visage rasé partout. L’âpreté presque insolente de ses gestes et de ses manières faisait un bizarre contraste avec son aspect ecclésiastique.

En l’entendant, en l’observant, George pensait :

« Christine peut-elle être heureuse avec cet homme ? peut-elle l’aimer ? Christine, la chère créature, si affectueuse et si mélancolique, elle que j’ai vue pleurer tant de fois en de soudaines effusions de tendresses, Christine est liée pour la vie à cet homme sans cœur, presque un vieillard, aigri par les sottes tracasseries de la politique provinciale ! Et elle n’a pas même la consolation de trouver un réconfort dans sa maternité ; elle ne peut que se consumer en craintes et en angoisses pour son enfant, cet enfant maladif, exsangue, toujours rêveur. Pauvre créature ! »

Il jeta sur sa sœur un regard plein de bonté compatissante. Christine lui sourit par-dessus les roses, en inclinant un peu la