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voyage du nonce Agliardi dans le royaume transleithan. On a cru un moment que l’empereur, après avoir refusé à la fois la démission du comte Kalnoky et celle du baron Banffy, avait rétabli entre ses deux ministres des rapports tolérables : pourtant, disions-nous il y a quinze jours, il est heureux que la Leitha les sépare. Cela n’a pas suffi. On sentait bien que la paix restait boiteuse et mal assise : au fond, la guerre n’a pas été suspendue un seul jour. L’opinion publique, à Pest, avait atteint dès le premier jour un tel degré d’excitation, qu’il lui fallait absolument une victime expiatoire, ou le comte Kalnoky, ou le nonce Agliardi. Le premier aurait pu aisément se sauver en sacrifiant le second : il a préféré disparaître lui-même, afin de ne pas infliger un désagrément cruel au Vatican et de ne pas troubler, peut-être gravement, les rapports de l’Autriche avec lui. Les Hongrois ont eu le succès qui, dans les choses humaines, appartient si souvent aux plus violens ; mais leur violence est toute politique, et ils savent parfaitement ce qu’ils font. Ils veulent terminer à tout prix l’œuvre de laïcisation qu’ils ont entamée. M. Banffy l’a déclaré en prenant la succession de M. Wekerle, et il reste obstinément fidèle au programme du parti libéral. Le gouvernement hongrois sent bien que certaines résistances s’opposent au plein accomplissement de ses projets : il a voulu les briser par un coup d’éclat, afin que tout le monde, sans exception ; comprît qu’il ne s’arrêterait pas à mi-route. Mgr Agliardi ne s’est évidemment pas rendu compte de cet état des esprits lorsqu’il est allé en Hongrie, et il a imprudemment attiré sur sa tête un orage qui ne demandait qu’à éclater. L’orage a été des plus violens. Est-il calmé ? Cela dépendra des facilités que trouvera le gouvernement hongrois pour l’achèvement de sa tâche. Après une manifestation de volonté aussi énergique, M. Banffy et le parlement hongrois rencontreront sans doute moins d’obstacles que par le passé. Nous ne parlerons pas de la situation personnelle de Mgr  Agliardi : on devine facilement ce qu’elle est et ce qu’elle deviendra, mais au moins certaines formes ou certaines apparences auront été ménagées. Pour ce qui est du comte Kalnoky, il emportera dans sa retraite l’estime de l’Europe, et il laissera à son successeur des traditions et des exemples dont le comte Goluchowski a trop d’intelligence et de savoir-faire pour ne pas profiter.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.