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dégrevées ; l’alcool sera surchargé et le privilège des bouilleurs de cru supprimé. Le résultat pour le budget ne s’élèvera pas à un franc de recettes. Il n’en sera pas ainsi de la seconde discussion à laquelle la Chambre se prépare, celle de la loi sur les successions, loi d’ailleurs détestable, en ce qu’elle introduit dans notre système d’impôts le germe malsain de la progression. M. Ribot en fait état pour un chiffre de recettes de 25 millions, chiffre dès aujourd’hui hypothétique, et qui le deviendra beaucoup plus encore si la Chambre ne s’arrête pas, dans la nomenclature des dettes à déduire de l’actif successoral, au point précis où il plaît au gouvernement de s’arrêter. Et elle aura raison de ne pas le faire, car si on applique l’impôt progressif, encore convient-il que ce ne soit qu’à l’actif réel. Il risque fort d’y avoir, de ce chef, une diminution notable sur la recette prévue. Ce qui est pire encore, c’est qu’une partie de la Chambre menace de confisquer la recette tout entière pour la consacrer à un dégrèvement de l’agriculture. Opérer des dégrèvemens dans un budget en déficit est, en soi, une chose absurde, — ce qui ne veut pas dire du tout que la Chambre, à un moment donné, ne soit pas capable de la faire. On a promis depuis longtemps que le produit de la réforme successorale serait abandonné à l’agriculture : or, si celle-ci manque parfois de bras pour travailler, elle ne manque jamais de voix pour réclamer. Voilà donc deux réformes, celle des boissons qui ne rapportera rien au budget, et celle des successions qui lui rapportera 25 millions, peut-être moins, peut-être rien. L’une et l’autre ont été détachées de la loi de finances, et elles ne procèdent que très indirectement du ministère actuel, qui s’est borné à y faire des retouches. L’œuvre propre de M. Ribot est tout entière dans l’impôt sur les domestiques, qui doit fournir 10 millions, et dans l’impôt sur les valeurs étrangères, qui, dit-on, en produira 14.

La taxe à établir sur les valeurs étrangères a un grand inconvénient : ces valeurs, qui donnent aujourd’hui une si grande activité à notre marché, ne manqueront pas de le déserter, au moins en partie, dès qu’on les taxera. Les tentatives du même genre ont mal réussi dans le passé, et il a fallu y renoncer. La taxe est acceptable en principe, mais elle aura de médiocres sinon de mauvais effets, et il est sans doute excessif d’en estimer le rendement à 14 millions. Toutefois, elle n’a pas rencontré jusqu’ici beaucoup d’opposition, parce que taxer les valeurs étrangères paraît, au premier abord, une chose juste et naturelle, et que beaucoup de personnes y voient une nouvelle application du système protectionniste. En revanche, l’impôt sur les domestiques a soulevé un tolle général. Pas un seul membre de la commission du budget ne l’a défendu dans son bureau. Dès le premier jour, il a été impopulaire. On a dit, ce qui est un peu puéril, qu’il y avait quelque chose d’humiliant pour les domestiques à être assimilés à d’autres objets, animés ou inanimés, qui appartiennent au maître, et