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l’utilité proportionnelle de chacun d’eux. Pourtant, par une modestie digne d’éloge, elle a pensé que le gouvernement saurait encore mieux qu’elle-même découvrir les points sur lesquels les économies pourraient porter avec le moins d’inconvéniens, et elle lui a demandé de les rechercher. — Volontiers, a répondu M. le ministre des finances ; seulement vous ferez bien de chercher de votre côté, car vous ne doutez pas que je n’aie déjà fait de mon mieux. — Et nous allons assister à la comédie annuelle par laquelle le gouvernement et la commission du budget inaugurent toujours leurs travaux, et qui, après des concessions réciproques, aboutit à de menues économies. Le fond des choses n’en est pas changé ; la difficulté reste, à peu de choses près, la même ; ce sont les saluts obligatoires avant de croiser le fer. Les économies ainsi faites sont généralement compensées, et au-delà, par les augmentations de dépenses que la Chambre vote ensuite en cours de discussion, entraînée par la chaude éloquence de quelque Méridional en verve, ou subjuguée par la logique tranchante et autoritaire d’un homme du Nord à fortes convictions. On doit donc compter sur une insuffisance de plus de 50 millions : encore sommes-nous modéré, et peut-être même à l’excès.

Pour y faire face, M. Ribot n’a proposé aucun système général. On lui a reproché de s’être borné à boucher des trous ; en effet, il s’est borné à boucher des trous. Peut-être a-t-il eu tort. Peut-être aussi a-t-il pensé qu’un budget déposé au mois de mai ne devait pas être trop ambitieux, pour conserver quelques chances d’être voté le 31 décembre. Tel qu’il est, la Chambre aura beaucoup de peine à en accoucher juste à terme. Bon gré mal gré, ce budget ne peut être qu’un budget de transition et de liquidation entre celui de 1895 et celui de 1897, et on ne fera de réformes sérieuses dans ce dernier qu’à la condition d’expédier l’autre au plus vite. Ajoutons que, préalablement à celle du budget de 1896, deux autres discussions se présentent, qui seront longues et difficiles, et qui, si elles aboutissent, réaliseront tant bien que mal deux de ces réformes dont on a si souvent parlé et qu’on a toujours ajournées.

La Chambre, après avoir perdu quinze jours à des interpellations sans le moindre intérêt, s’est enfin mise à une vraie loi d’affaires, celle du régime des boissons. L’histoire de cette réforme, ou plutôt des projets qui l’ont préparée, serait trop longue pour être racontée, même brièvement : elle ne relaterait d’ailleurs qu’une série d’avortemens. Puisse la Chambre actuelle être plus heureuse que ses devancières ! Elle aura fait une réforme, et nous verrons, par le sentiment que le pays en manifestera, s’il suffit d’en faire une pour recueillir une douce popularité. Au surplus, le budget ne profitera en rien de la réforme des boissons, puisqu’elle est de celles dont on dit qu’elles se font sur elles-mêmes ; ce qui signifie qu’on emploiera ce qu’elle pourra rapporter d’un côté à compenser ce qu’elle coûtera certainement de l’autre. Les boissons dites hygiéniques, et parfois si témérairement, seront