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Mme de V... n’était pas encore réconciliée avec l’idée de la robe blanche. Mais si opposée qu’elle demeurât aux projets de Lacordaire, sa générosité naturelle ne lui permettait pas de s’en désintéresser complètement. Le pli qu’elle avait tenté de faire accepter par lui, en se servant de l’intermédiaire de Mgr de Quélen, était toujours resté entre les mains de ce dernier. Elle eut la pensée que peut-être elle pourrait renouveler son offre avec plus de succès. Elle consulta cependant l’abbé Affre, alors vicaire général. « M. Lacordaire qui a refusé un secours personnel, ne refusera point un secours destiné à favoriser son futur établissement, » répondit celui-ci. Et quelques jours après Lacordaire la remerciait simplement : « Je n’ai pas besoin de vous dire que je suis heureux de toutes les nouvelles preuves d’attachement que vous m’avez données depuis huit jours. Ce souvenir m’accompagnera toujours et contribuera à alléger les peines que Dieu, sans doute, me réserve dans le cours de ma vie. A demain et à toujours. » Et comme il allait quitter Paris quelques jours après, il terminait un dernier billet par ces mots : « Du courage ! »

Dans les premiers jours de mai 1839, Lacordaire partait en effet pour la seconde fois, emmenant avec lui deux compagnons de voyage. Tous trois devaient revêtir à Rome l’habit de saint Dominique dans les premières semaines de juin. A Milan, il s’arrêtait quelques jours, et de là il écrivait deux longues lettres, l’une à Mme Swetchine, qui a été publiée dans le volume de leur correspondance, l’autre à Mme de V... « Si je vous avais écrit toutes les fois que ma pensée s’est tournée vers vous, vous auriez déjà reçu bien des lettres de moi, » lui disait-il, en commençant; et après lui avoir donné quelques détails sur son voyage il continue : « Je vous écris dans un grand moment de douceur, parce que je suis ravi de mes deux compagnons de voyage depuis huit jours, et que j’ai emporté de Paris des souvenirs qui m’accompagnent partout. Vous pensez peut-être que ces souvenirs devraient se tourner en regrets et que ma joie ressemble pas mal à de l’ingratitude. Vous auriez tort. Il y a des regrets consolans. Peut-on songer à ce qui est bon, aimable, sincère, sans qu’une certaine joie tombe dans l’âme, même avec des larmes?... Votre pensée me console donc et ne m’attriste pas, malgré l’absence. Je songe que Dieu m’avait préparé en vous une amie véritable et sûre, dans un moment où ma vie devait avoir à supporter une épreuve décisive. Je songe avec une joie douce à tout le bien que vous m’avez fait et que d’anciens amis ne pouvaient pas me faire. Je vois en vous Dieu et vous-même, et par ce mélange vous n’êtes pas tout à fait absente, parce que Dieu