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LA TROISIÈME SŒUR.


Le sentier parcouru dans l’ombre se recule ;
De nos bouquets flétris nos bras sont allégés.
Arrêtons-nous, mes Sœurs. Voici le crépuscule
A jamais indulgent pour les cœurs affligés.

Puisque lointaine encore est la vieille demeure,
Reposons-nous. Les fleurs du soir vont s’entr’ouvrir,
Et, parmi la tendresse et le calme de l’heure,
Oublions un moment que nous devons mourir.


SUR LE FLEUVE


Ivre des frais parfums qui flottaient dans le vent,
Tu partis à l’aurore eu barque sur le fleuve ;
Debout près du rameur qui chantait à l’avant,
Joyeuse dans les plis clairs de ta robe neuve.

Et tout avait, — ta joie et tes rires épars,
La barque, les roseaux et, les fuyantes rives
Et les flots purs fleuris de pilles nénuphars, —
L’attrait mystérieux des choses fugitives.

Puis la barque a vogué sur le fleuve du soir ;
Un vent plus froid frôla tes cheveux et ta joue.
Près du rameur muet, grave, tu vins t’asseoir
A la silencieuse et taciturne proue.

La berge tout en fleur se prolonge et te fuit ;
La barque erre à jamais sur l’eau nocturne et sombre
Et, morne, en les longs plis de ton manteau de nuit
Tu la vois s’enfoncer dans la terreur de l’ombre.

Le noir reflet du ciel redouble ton tourment
Quand tu penches vers l’eau ta tête douloureuse
Et que tu vois, aux tiens fixés obstinément,
Les yeux, les tristes yeux de ta Sœur ténébreuse.