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Parmi nos voisins, ce ne sont pas ceux au Midi qui se montrent ni les plus empressés à nous visiter, ni les plus originaux dans leurs façons de voir. Les quinze ou vingt Italiens qui pratiquent, avec leur dextérité habituelle, la peinture anecdotique, ne font guère que mêler, à des doses variables, les formules de Meissonier avec celles de Fortuny. L’un d’eux, Tito Lessi, atteint, dans ce genre, une perfection remarquable. Ses Bibliophiles, réunis et discutant, dans une de ces belles galeries boisées, où l’odeur sacrée des bouquins vénérables rangés dans les hautes armoires et les grâces galantes des mythologies qui s’agitent dans les fresques du plafond enchantent leurs imaginations érudites, et excitent leur intarissable bavardage, offrent un spectacle à la fois grave et amusant. C’est juste, bien vu, finement dessiné, agréablement coloré. Ceux que ce dilettantisme ingénieux suffit à émouvoir ne peuvent demander mieux. Chez les Espagnols, plus nombreux (une quarantaine) il y a plus d’agitation, plus d’ardeur, de force aussi et d’éclat. L’œuvre reste souvent en route, il est vrai, faute de suite ou de précision, à l’état d’esquisse passionnée. Le Retour de la pêche, avec les grands bœufs traînant la barque sur la grève, et la Traite des Blanches, un troupeau somnolent de malheureuses filles entassées dans un wagon sous la conduite d’une horrible duègne, indiquent, chez M. Sorolla y Batisda, un vrai tempérament de peintre espagnol, qui regarde avec franchise les choses de son pays, en pensant à Velasquez et à Goya. Les Portugais sont plus assagis ; c’est avec de l’esprit, de la discrétion, un goût parisien, que MM. Salgado et Souza-Pinto continuent à se faire une bonne renommée, l’un par ses fidèles portraits (S. M. la Reine de Portugal, Mme Virginie Demont-Breton), l’autre par ses études de types populaires et ses portraits.

Nos voisins, les Suisses et les Belges, au premier abord, ne semblent guère différer de nous. Cependant ils ont bien leur tempérament propre qui, chez les Belges surtout, éclaterait vivement le jour où ils se trouveraient groupés. Les Suisses (une vingtaine) restent des praticiens consciencieux, exacts, un peu froids, aimant l’anecdote romanesque ou morale, bien contée, en tous ses détails. MM. Castres et Jules Girardet maintiennent avec talent, en des cadres modestes, cette honnête tradition. M. Burnand a-t-il bien fait d’en sortir en donnant à son Charles le Téméraire fuyant après la bataille de Morat des proportions épiques ? L’effort est considérable, mais se sent un peu trop partout, et dans l’accentuation laborieuse des physionomies, et dans l’exactitude ministérielle des caparaçons et des orfèvreries, et dans la musculature rigoureusement détaillée des chevaux, On pense trop à la peine que le peintre s’est donnée, pas assez au désespoir de