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conscience si vive des jouissances que peuvent donner à l’œil et à l’esprit ces sortes de sensations, et l’on n’a jamais cherché ces jouissances de plus de côtés à la fois, par des analyses plus variées et plus subtiles. Il y a vraiment plaisir, une fois qu’on s’est résolu de ne plus demander aux peintres ni des inventions poétiques, ni des compositions réfléchies, à se promener, presque au hasard, dans les deux Salons, car on y trouve, à chaque pas, une quantité d’impressions vives ou raffinées, d’observations naïves ou subtiles, qui n’ont tout juste, il est vrai, que la valeur d’indications, mais qui sont instructives, sous ce rapport, ou amusantes.

M. Dagnan, lui, n’est pas de ces improvisateurs qui perdent, par ignorance ou par paresse, l’occasion de faire un chef-d’œuvre. Son petit tableau du Lavoir, où quelques paysannes bretonnes. bavardent, arrêtées sous une voûte, est un vrai régal d’amateurs. Pourquoi ? Parce que tout y est juste, vu et senti en peintre, l’attitude des femmes, la couleur des vêtemens, l’humidité du lieu, sa pénombre, et sa tristesse, et le contraste de cette froideur du dedans avec l’air chaud qu’on sent au dehors, et que tout cela est dit simplement, complètement, finement, par un peintre qui joue avec sûreté des couleurs de sa palette comme un écrivain exercé joue des mots de son vocabulaire. C’est ainsi que parlaient les consciencieux et bons Hollandais, les Pieter de Hooghe, les Ter Borch, les Metzu, et M. Dagnan est de la famille. M. Lobre, au Champ-de-Mars, M. Lomont aux Champs-Elysées sont aussi de cette lignée ; ils procèdent de ces maîtres exquis par leur entente délicate de la lumière recueillit ! à l’intérieur des maisons, cette lumière amie, souvent furtive, parfois brouillée, qui promène avec elle notre rêve, dans notre chambre de travail ou de repos, d’un bouquet qu’elle caresse à un portrait qu’elle ravive, d’un livre oublié à un ami qui entre. Et comme ils ont raison de s’en tenir à des cadres modestes qui conviennent si bien aux confidences intimes ! M. Lomont aurait-il la malheureuse ambition de s’agrandir ? La silhouette un peu sèche qui noircit le premier plan de son Lied, dont le fond d’appartement est si délicat, pourrait nous le faire craindre. La petite fille même qui écrit sa Lettre aurait pu être plus petite : n’importe, telle qu’elle est, elle est charmante, si appliquée, si attentive ! Quant à M. Lobre, son Intérieur avec une vieille dame en noir et une jeune fille en blanc, et son autre Intérieur, garni de meubles surannés avec une statue de Frédéric le Grand, sont vraiment des modèles du genre.

L’école des vaporisans dont M. Carrière n’est pas l’inventeur, mais dont il est devenu le chef par son talent, donne quelquefois des émotions délicieuses. De ce que M. Carrière est celui qui vaporise le plus et qui vaporise à outrance au point de ne plus être