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composition de M. Weerts, Pour la patrie et pour l’humanité, qui ne peut faire oublier ses petits portraits, montre un effort estimable ; mais tout cela ne dépasse pas le niveau de ce qu’on voit, en plus grand nombre, aux Champs-Elysées.


II

L’imagination, en somme, joue un rôle assez restreint dans la production française. Les facultés d’observation chez nos peintres sont plus développées. Les deux manières de voir qui, à courte distance, se sont succédé dans les ateliers et dans les expositions, celle d’un réalisme complet, poussant l’exactitude jusqu’à la brutalité, la cherchant de préférence dans les milieux vulgaires, puis celle d’un impressionnisme excessif, sacrifiant toutes les formes aux jeux subtils de la lumière, mais poursuivant l’analyse de cette lumière dans les milieux les plus divers, auront également contribué à enrichir ces facultés si l’on sait profiter, à temps et sans exclusion, des résultats acquis. Les portraits, les scènes de mœurs rustiques, familières, mondaines, les paysages, tiennent toujours la plus grande place, la meilleure, tant aux Champs-Elysées qu’au Champ-de-Mars, et, parmi ces innombrables ouvrages, où le talent s’éparpille en nuances infinies, quelques-uns joignent, à un juste esprit d’observation, des mérites techniques assez sérieux et, parfois même, des qualités poétiques d’un ordre assez élevé.

Les portraitistes, comme les traducteurs, se divisent en plusieurs classes, les sincères et les exacts, les flatteurs, les infidèles, les traîtres. Il arrive de temps en temps que, suivant l’occasion, le jour qu’il fait, ou par caprice, le même peintre saute d’une classe à l’autre. En général, néanmoins, comme c’est question de tempérament plus que de volonté, d’habitude plus que de réflexion, l’homme exact reste toujours exact, l’infidèle demeure infidèle. L’infidélité, d’ailleurs, en cette matière, n’est pas toujours un crime ; c’est parfois une vertu, lorsque le modèle est insignifiant et que le peintre est un grand artiste. On pourrait citer, dans le passé comme dans le présent, nombre de portraitistes qui durent leur vogue, comme leur mérite, à leurs habitudes de savans ou poétiques mensonges. Est-il bien certain que nos pompeux metteurs en scène du XIIIe siècle, nos aimables habilleurs ou déshabilleurs du XVIIIe siècle, Rigaud, Largillière, Nattier, Boucher e tutti quanti, nous aient toujours bien scrupuleusement rendu les imperfections ou même l’individualité de leurs nobles cliens ? Fromentin a justement remarqué que l’ardent Rubens lui-même ne pouvait toujours inspirer une confiance extrême. Ce qui