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et dont on retrouve l’origine dans les maîtres les plus francs et les plus expressifs du XVe siècle florentin. Quelques-uns des ouvriers de la muraille toulousaine ont déjà travaillé à la Tour de Babel du Campo-Santo de Pise ; mais ce n’est pas seulement par des rencontres d’attitudes et des ressemblances d’ajustemens que M. J.-P. Laurens rappelle Benozzo Gozzoli, il lui ressemble aussi par certains traits de simplicité et de noblesse qui ne sont pas indignes de son illustre prédécesseur et auxquels il ajoute des préoccupations d’exactitude historique et de sympathie humaine qui lui donnent la marque de son temps et de son pays.

C’était une grave besogne qu’on avait imposée à M. Ehrmann en lui disant de représenter à la Bibliothèque Nationale, sur un seul panneau, les Lettres, les Sciences, les Arts du moyen âge, tout un monde, et quel monde, si divers et si majestueux ! M. Ehrmann a fait des sacrifices. En réalité, dans sa composition habilement disposée, les grands rôles, au centre, ne sont joués que par les seuls historiens français, Froissart, le jeune et alerte coureur de tournois et de fêtes, Juvénal des Ursins, le grave chroniqueur des années sanglantes, l’un en gai costume de damoiseau, l’autre en somptueuse robe de brocart (deux figures très réussies), Villehardouin, Joinville, Commines, ceux-ci moins bien caractérisés, ou un peu sacrifiés. Dans une salle de la Bibliothèque, que les écrivains tiennent le premier rang, rien de mieux. Mais pourquoi n’avoir pas mis, à côté des chroniqueurs, en figures parlantes, quelques-uns de nos grands trouvères ou de nos grands docteurs ? Les types ne manquaient pas. Les deux poètes, très visibles au premier plan, sont Dante et Pétrarque, qui ne sont pas français, et dont l’un est l’initiateur de la Renaissance. En réalité, M. Ehrmann, qui, par toutes ses études et ses travaux antérieurs, est un homme de la Renaissance, n’a pu voir le moyen âge qu’en artiste de la Renaissance. Ce sont les personnages confinant à la Renaissance, les plus extériorisés et les mieux habillés, qu’il représente le mieux. Ses habitudes d’esprit, en vérité, répugnent même tellement aux formes en usage pendant la période qu’il devait symboliser, il est si peu converti aux grandeurs de l’art ogival, qu’ayant à mettre un fond derrière ces historiens qui, depuis Villehardouin jusqu’à Commines, n’ont connu que les formes gothiques, il développe un portail cintré, antérieur à la grande évolution nationale, le portail roman. Ces observations n’enlèvent rien au mérite intrinsèque de la composition de M. Ehrmann. Nous les faisons seulement pour indiquer en quoi diffèrent, sur ce point, les tendances de la génération précédente et les tendances de la génération nouvelle que des communications plus précises et plus fréquentes avec les monumens des différens