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seconds par ses coutumes studieuses et ses goûts d’exactitude ; il se distingue de tous par la clairvoyance avec laquelle il sait retrouver, dans les hommes d’aujourd’hui, la survivance des types et des caractères qui lui sont suggérés par les chroniques et définis par les œuvres d’art. Dans ses illustrations des Récits mérovingiens, dans ses Emmurés de Carcassonne, dans sa Mort de sainte Geneviève, combien sont à la fois vieux et modernes, disparus et vivans, ses soldats féroces, ses serfs abrutis, ses ecclésiastiques fanatiques ! La ville de Toulouse, en lui offrant la décoration d’une vaste muraille, dans le Capitole, fermant le fond d’une longue galerie et que l’on verra de loin, lui a fourni l’occasion de prouver la vigueur de son intelligence historique d’une façon plus complète.

Le sujet est emprunté à la guerre des Albigeois. La ville de Toulouse, assiégée inutilement une première fois par Simon de Montfort, a dû se soumettre à la suite d’une défaite sanglante. Les hommes du Nord l’ont pillée sans pitié et rasée jusqu’au sol. Les Toulousains, indignés, rappellent leur comte Raymond, se soulèvent deux fois contre les croisés, les forcent enfin à quitter la ville. Ce n’est pas tout d’être chez soi, il faut organiser la défense, relever les murailles, les relever en hâte, et qu’elles soient hautes et solides. Les capitouls se réunissent et, pour s’assurer l’appui du ciel, placent « dans la plus haute voûte du plus haut clocher, entre lampes et candélabres », les reliques de saint Exupère qui protégera son peuple. Les meilleurs charpentiers sont chargés de dresser dans tous les postes des balistes et des pierriers. Dans tous les quartiers, des chevaliers, des bourgeois, des marchands sont désignés pour faire fortifier les postes et diriger les ouvriers. « Et tous se mettent à l’œuvre, dit Guillaume de Tudèle, le menu peuple, les damoiseaux, les damoiselles, les dames et les femmes, les jouvenceaux, les jouvencelles et les petits enfans qui, chantant des ballades et des versets légers, travaillent aux clôtures, aux fossés, aux ponts, aux barrières, aux murs, aux escaliers, aux corridors, aux portes, aux salles, aux embrasures, aux guichets, aux tranchées, aux voûtes… » Nous abrégeons l’énumération qui montre chez le poète-chroniqueur un homme au courant de tous les détails de l’architecture militaire. Ce n’est pas une seule fois d’ailleurs que le moine-troubadour, dans ses vers colorés et vivans, dont les descriptions d’une rare précision ont fourni à Viollet-le-Duc les renseignemens les plus exacts et les plus précieux sur l’art militaire au XIIIe siècle, nous montre toute une population à l’œuvre dans les mêmes conditions. Au siège de Moissac, au siège de Beaucaire, de même, pêle-mêle, en chantant, seigneurs et manans,