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l’empereur Salzbourg et la Bavière jusqu’à l’Inn. Ces dispositions furent, non sans labeur, dressées en l’orme d’articles provisoires. Il était six heures du matin, le 10 octobre, quand la conférence fut levée.

Cobenzl, ayant pris son parti, aurait voulu signer sur l’heure ; il redoutait tout d’un homme « aussi chicaneur et d’aussi mauvaise foi que Bonaparte ». Quant à sa propre bonne foi, il en donna la mesure dans son rapport à Thugut : — Il rougissait de soumettre à l’empereur un pareil traité, mais, ajoutait-il : « Nous ne faisons qu’une trêve par laquelle nous prenons plus aisément pied en Italie que par la campagne la plus heureuse ; d’ailleurs l’arrangement des affaires d’Allemagne nous procurera vingt moyens pour un de recommencer la guerre, si nous voulons. » Il en sera de même de l’occupation de la Cisalpine par les Français : « La présence de ces troupes peut servir de prétexte pour les attaquer lorsque nous en trouverons le moment favorable. » Cependant Bonaparte adressait son ultimatum, à Talleyrand, sous forme d’apologie de sa conduite. Il exposait les avantages du traité ; il énumérait encore une fois les motifs pour conclure ; il y ajouta la mort de Hoche et le mauvais plan d’opérations adopté pour l’armée du Rhin ; enfin il insista sur l’envie de la paix « qu’a toute la république, envie qui se manifeste même dans les soldats. » Sans doute on sacrifie Venise, mais tout le parti patriote dans cette ville ne fait pas 300 hommes ; on les recueillera dans la Cisalpine ; leur désir de former une république ne vaut pas la mort de 10 000 Français. Enfin la France pourra tourner toutes ses forces contre l’ennemi héréditaire : « La guerre avec l’Angleterre nous offrira un champ plus vaste, plus essentiel et plus beau d’activité. » L’annonce de sa retraite, de sa rentrée dans la vie civile, « le soc de Cincinnatus » forma la conclusion de cette missive, qui partit pour Paris accompagnée d’un billet hautain et moqueur sur le voyage du citoyen Bottot. Ce citoyen se chargea du courrier, reprit la poste et s’en alla rendre compte au Directoire de sa mission.

La paix n’était point encore signée ; Bonaparte estima que, sans en violer les conditions, il pouvait en compléter les avantages. Le 10 octobre, il consomma la réunion de la Valteline à la Cisalpine.

Cette affaire à terminer, les lettres à préparer pour le Directoire, les explications à combiner, les Vénitiens à tenir en haleine et en illusion jusqu’à la dernière heure, l’armée à disposer en vue d’une rupture ; la double nécessité de se mettre en mesure politiquement pour imposer la paix à Paris, militairement, si Paris refusait la paix, pour recommencer la guerre avec l’Autriche ; le calcul des chances dans cette grosse partie dont dépendait sa