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Pour remettre cette place aux troupes françaises, avant que la paix de l’Empire n’en ait stipulé la cession à la France, je puis vous donner ma parole d’honneur que l’empereur n’y consentira jamais, et que j’ai l’ordre de rompre plutôt que d’y donner la main. — Mais vous voulez bien que nous vous remettions Venise et toutes les places vénitiennes qui ne sont pas plus notre propriété que vous n’avez celle de Mayence. — La chose est entièrement différente ; songez à quel titre nous sommes entrés dans Mayence et vous dans les places que vous citez… » Il n’y avait qu’un moyen d’accommoder l’honneur de l’empereur avec la cession d’une forteresse de l’Empire que ce prince avait mission de défendre, c’était d’augmenter la « composition » et de la proportionner à l’honneur impérial. On se remit donc à marchander, et faute de meilleures raisons, on argumenta, de part et d’autre, avec les sentimens et avec les principes. Cobenzl invoqua les devoirs de l’empereur envers ses co-Etats ; Bonaparte appliqua aussitôt ce raisonnement à l’Italie : Venise avait accompli une révolution démocratique, elle devenait ainsi plus intéressante à la France, et la France, pour la donner, avait le droit, tout comme l’empereur au sujet de Mayence, d’exiger une compensation proportionnée. De guerre lasse, ils suspendirent l’entretien et allèrent rejoindre les autres plénipotentiaires qui se promenaient dans les jardins. Bonaparte répéta que la République ne ferait jamais la paix sans la rive gauche du Rhin ; Cobenzl répéta qu’il ne la ferait point sans l’intégrité de l’Empire. « Tout cela, finit par dire Bonaparte, s’arrangera au congrès, à Rastadt. » Il insinua l’expédient d’un malentendu volontaire, qui se prêterait à toutes les équivoques, dans les déclarations publiques, à toutes les collusions dans le secret. C’était ainsi seulement qu’en 1795 la République avait pu traiter, à Bâle, avec la Prusse ; c’était ainsi, et pour les mêmes motifs, qu’elle allait traiter avec l’Autriche. Cobenzl y était résigné ; toutefois il ne désespérait pas encore d’enlever les Légations. Bonaparte était décidé à ne pas les lui abandonner, mais il voyait très clairement que, sans de grandes acquisitions en Italie, l’Autriche ne transigerait pas, même secrètement et éventuellement, sur l’article du Rhin. Tout se ramenait à savoir jusqu’où il convenait de pousser les exigences en Allemagne et les concessions en Italie. Les instructions du Directoire rendaient la décision difficile, et le courrier que Bonaparte reçut alors n’était pas fait pour le tirer d’embarras.

C’étaient les lettres du Directoire et de Talleyrand, du 15 et du 17 septembre : tout garder, ne rien donner, en Italie, à l’Autriche qui ne voulait que des terres italiennes ; exiger toute la rive gauche du Rhin, et n’accorder pour indemnité à l’Autriche que l’Istrie,