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toute la Terre ferme jusqu’à l’Adda, les trois Légations et le Modénois en compensation des Pays-Bas, de la Lombardie et des territoires de Souabe qui passeraient au duc de Modène, encore perdrait-elle au change. Bien entendu que le roi de Prusse « serait exclu de toute acquisition », et que l’on se réunirait contre lui s’il voulait exiger autre chose que la restitution de ses possessions de la rive gauche du Rhin. Bonaparte avait laissé parler Cobenzl, et quand ce fut fini : « Mais pourquoi, dit-il, ne demandez-vous pas aussi la Lombardie et toute l’Italie ? » Cobenzl répliqua qu’il avait fait ses calculs. Bonaparte les contesta. Il disputa sur le nombre des habitans et sur la valeur des territoires en litige. Il objecta que l’Autriche trouvait son avantage à se débarrasser des Pays-Bas ; à quoi Cobenzl répliqua que c’était un avantage plus grand encore pour la France de les acquérir. « L’Angleterre seule, dit Bonaparte, a intérêt à ce que vous les possédiez. — La Belgique, riposta Cobenzl, a une double valeur pour vous, puisqu’elle vous assujettit la Hollande et vous met en possession de bloquer l’Angleterre depuis la Baltique jusqu’au détroit de Gibraltar. — Mais, reprit Bonaparte, ce que vous voulez nous acheter si cher, la Prusse nous l’offre. — La Prusse, répliqua Cobenzl, n’est engagée qu’à vous le laisser prendre ; mais cela ne suffit pas, car nous nous y opposons. » Cobenzl affirmait ici ce qu’il ne savait pas ; le silence de Bonaparte lui prouva qu’il avait deviné juste et que la République n’était pas aussi sûre de la Prusse qu’elle le voulait faire croire. Alors il s’affermit : « L’empereur ne livrera point Mayence si la France ne lui livre pas Mantoue. Du reste, que la République renonce à Mayenne et à la rive gauche du Rhin, et il signera sur l’heure. » Bonaparte réfléchit et reprit : « Nous sommes encore si loin l’un de l’autre, que je ne vois pas comment nous pouvons nous rapprocher. — Si tout ce que je vous dis aujourd’hui ne vous suffit pas, répondit Cobenzl, je ne vois effectivement aucun moyen de terminer. Quant à moi, j’ai vidé mon sac. »

Bonaparte demanda à connaître le projet que Cobenzl avait dressé. Il n’y était question de Mayence que dans les articles secrets : on réunirait un congrès pour la paix avec l’Empire ; si ce congrès n’aboutissait pas, l’empereur retirerait ses troupes de Mayence : la place, n’étant plus en mesure de se défendre, tomberait inévitablement aux mains des Français. Bonaparte insista pour la remise préalable de la ville : « Je n’évacuerai pas une seule forteresse en Italie avant que Mayence ne soit remis aux troupes de la République. — Je ne signerai jamais la paix, répliqua Cobenzl, sans stipuler la prompte sortie des troupes françaises de tout ce qui doit revenir à l’empereur…