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négociateurs, et sans la définir encore ni l’avouer, ils en vinrent à parler des indemnités respectives. Ils discutèrent longtemps sur la ligne de l’Adige, les forteresses vénitiennes et les Légations. Bonaparte voulait les forteresses pour défendre la Cisalpine ; Cobenzl voulait les Légations « pour défendre plus aisément le grand-duc de Toscane… et le pape ! » Il était malaisé de s’occuper si longtemps d’indemnités, d’équilibre, de trocs, ruptures d’alliances, abandons de garanties, violations de traités, démembremens de républiques et autres opérations régaliennes, sans dire quelques mots de la Pologne et des belles acquisitions que l’Autriche s’y était procurées. Bonaparte n’y manqua pas, et même il s’y étendit. Cobenzl le laissa dire, puis, croyant le moment venu de faire au général républicain la leçon qu’il n’avait encore pu lui donner, il prit son plus noble accent de dignité officielle : « L’Autriche, déclara-t-il, ne s’est jamais prêtée qu’à regret à partager ce pays qui n’était nullement de sa convenance ; c’est uniquement l’ouvrage de la Prusse, qui, seule, y a réellement gagné ; mais à présent que la chose est faite et fondée sur des engagemens sacrés, il ne peut plus y avoir de changement à cet égard. » Bonaparte prit la déclaration pour ce qu’elle valait, et n’insista pas.


II

Le lendemain, 29 septembre, Bonaparte reçut un courrier de Rome : le pape semblait être à toute extrémité. Aussitôt, il se met en mesure. Si l’on fait un pape, il veut que ce soit un pape français, et, comme il disait, « un pape facile et un homme d’esprit ». Il veut surtout que ni l’Autriche ni Naples ne profitent de l’interrègne, et que si la guerre recommence, Rome soit assujettie : elle croulera d’elle-même, ensuite, comme la Sardaigne ; on la détruira, ou l’on lui permettra de vivre selon les convenances de la République et selon la docilité de la curie. Il écrit à Joseph, qui représente la France à Rome, de « faire son possible » pour que, le pape mourant, « il y ait une révolution », et de le faire ostensiblement, de l’annoncer surtout et de le proclamer très haut : les cardinaux auront peur, ils capituleront et nommeront un bon pape. Si Naples montre quelque velléité de bouger, sous couleur de protéger le Saint-Siège, en réalité pour se nantir et prélever sa part d’un partage éventuel, on la menacera de l’écraser, et on lui insinuera en même temps que pour prix de sa sagesse, la République lui fera son lot. Il le mande à Canclaux, envoyé de la République à Naples. Il le laisse entendre à Gallo qu’il va voir à Udine, avant la conférence. Gallo