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sans doute comment les rois avaient opéré, par trois fois en Pologne, et comment, d’après le droit public, c’étaient les spoliés qui devaient consentir eux-mêmes leur ruine, afin de la légitimer : « C’est, dit-il, avec les commissaires de la République de Venise qu’il faudra traiter de la cession, pour la rendre légale. » Cobenzl ne le contesta point, en principe ; mais, fit-il observer : « Nous ne pouvons reconnaître la République de Venise avant d’être en possession de toutes nos indemnités. »

C’était un cercle vicieux, puisque Venise fournissait la principale de ces indemnités. Pour démembrer cette république, Bonaparte en avait changé le gouvernement ; et l’Autriche, sous prétexte qu’elle n’avait pas reconnu le gouvernement nouveau, ne le jugeait pas autorisé à démembrer juridiquement la République. Bonaparte trouva que Cobenzl « extravaguait » : « Voilà donc, reprit-il, toute la négociation accrochée ; comment voulez-vous que nous fassions, si vous refusez de traiter avec les plénipotentiaires vénitiens ? — C’est avec vous, repartit Cobenzl, que nous avons a traiter ; c’est vous qui nous avez assuré des dédommagemens et qui les avez rendus nécessaires en vous appropriant ou en disposant de nos possessions ; c’est vous qui êtes en possession, c’est donc à vous à nous les remettre, conformément à l’engagement que vous avez pris. » C’était ce que l’on appelait, dans le jargon des chancelleries, rejeter sur autrui l’odieux du partage. Cobenzl était fort adroit à ce jeu ; mais Bonaparte para le coup : « La République française a reconnu les plénipotentiaires vénitiens, et dès lors, elle ne peut consentir à ce que l’Autriche s’empare de Venise. » Ce fut à Cobenzl de se récrier : « Si vous faites toujours comme cela, comment voulez-vous qu’on puisse négocier ? — Soit, dit Bonaparte, revenons aux textes : il est écrit que vous aurez Venise quand nous aurons Mayence. » Il s’ensuivit une prise très vive. Cobenzl allégua l’article V qui stipulait l’intégrité de l’Empire ; Bonaparte riposta par l’article VI qui reconnaissait pour limites à la France les pays réunis en 1795. « L’intégrité de l’Empire, dit-il, s’entend de soi-même, dans la mesure où il n’y est point dérogé par le traité, et le traité y déroge. » Cobenzl le contesta : « L’empereur n’a reconnu et n’a pu reconnaître que la réunion à la République française de ses propres territoires, la Belgique et le Luxembourg : sur les autres, par exemple sur Mayence, il n’a pas le droit de se prononcer. — Mais, dit Bonaparte, l’empereur a déjà transigé sur Modène ; il a accepté la transaction pour l’évêché de Liège ; la Belgique d’ailleurs fait partie du cercle de Bourgogne ; ce qu’il a consenti pour un cercle, il le peut consentir pour les autres. » Cobenzl répondit : « Il faut distinguer ; pour Modène, on avait stipulé un