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de la prairie sévillane, où affluent, deux ou trois fois l’an, les invités de l’aristocratie et les professionnels conviés aux fêtes de l’élevage, que je dirai tout à l’heure : beaucoup de chambres claires, une tour pour découvrir au loin Séville et la plaine, une grande salle à manger, et partout, sur les murs, des souvenirs de sport ou de réunions mondaines, des affiches de courses, des diplômes de concours agricoles, des ombrelles et des éventails déployés représentant des scènes de toreo, des croquis à l’aquarelle de jolies femmes de Séville, des séries de gravures anglaises, des têtes de taureaux célèbres, provenant de la ganaderia de Ybarra. Nous déjeunons à l’espagnole, — ce qui veut dire fort bien, quoi qu’on en ait dit, — dans la salle à manger, dont toutes les chaises portent gravée sur le dossier cette légende : « Je suis au service de San José de Buenavista », puis nous sortons rapidement, car nos chevaux de selle nous attendent dans la cour.

Ils sont tenus en main par des vaqueros et leur chef, le conocedor, hommes de la prairie, maigres et nerveux, coiffés du chapeau à larges bords, vêtus d’une veste courte et d’un pantalon de cuir, doublé de peau de chien découpée à l’endroit où le genou presse la selle, et d’où pendent, le long de la jambe, des houppes de lanières de cuir. Ils n’ont pas pris, aujourd’hui, leurs piques, leurs garrochas dont je vois tout un râtelier garni dans la chambre du chef. Ils montent à cheval avec nous, et, à peine avons-nous franchi la porte, que nous partons au galop, en peloton serré, vers un groupe d’animaux que nous apercevons à deux kilomètres en avant. Ce ne sont pas des taureaux, mais des bœufs dressés à la conduite des taureaux, des cabestros. Nous nous arrêtons à quelques pas d’eux.

— Remarquez, me dit M. de Ybarra, que nos cabestros ont presque tous le pelage très clair. Nous les choisissons de robe pâle.

— Et pourquoi ?

— Parce que nos bêtes de course font toujours de nuit le trajet de la ganaderia à Séville, et qu’il est bon que nos hommes, dans les chemins, puissent distinguer un bœuf dressé d’avec nos taureaux, qui sont généralement de pelage sombre.

À ce moment, nous mettons nos chevaux au pas, nous pénétrons de l’autre côté d’une barricade de pieux et de perches qui remonte, à notre gauche, indéfiniment, et nous sommes dans le pâturage des grands taureaux prêts pour la course, armés à point pour éventrer les chevaux et supporter les coups de lance. Ce n’est plus l’heure de galoper. J’observe même que le conocedor et M. de Ybarra, qui nous encadrent mon compagnon et moi, et marchent