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comprenais cette grâce andalouse, qui passe les autres. Et c’était un charme nouveau de voir danser cette danse, un peu orientale et sensuelle, avec une distinction entière et je ne sais quelle retenue virginale.

Je demandai, pendant un repos, à Mlle Adelina :

— Vous avez dû avoir beaucoup de succès à la feria, mademoiselle ?

Elle montra quelques jolies dents de plus. C’était vrai : elle avait dansé des malagueñas devant le peuple de Séville, les jours de la grande foire.


LA GANADERIA DE YBABRA

J’ai assisté presque chaque dimanche, en différentes villes d’Espagne, à des courses de taureaux. Et j’ai bien cru que la première fois serait la dernière. L’horreur qu’on éprouve, au premier cheval éventré, oblige un Français à dominer ses nerfs s’il veut rester jusqu’à la fin du spectacle. Puis j’ai éprouvé qu’on s’habitue, non pas à voir couler le sang, mais à ne plus le voir, et qu’il n’y a bientôt plus sur l’arène, pour des yeux accoutumés, que deux personnages engagés dans une lutte à mort : l’homme et une bête sauvage. Les accessoires disparaissent. Les maigres haridelles, au front bandé, que le taureau transperce, enlève au bout de ses cornes, et promène, avec leur cavalier, avant de les jeter à terre ; celles qu’on ramène au combat, le flanc recousu et les blessures fermées avec un bouchon de paille, ne font plus pitié, n’éveillent aucun sentiment d’aucune sorte, parce que l’attention se détourne d’elles pour se concentrer sur les véritables duellistes, et considère les animaux, mûrs d’ailleurs pour l’équarrissage, à peu près comme des sacs de sable destinés à protéger l’homme et à fatiguer la première fureur de son adversaire. Je trouve donc très peu fondée l’accusation « d’aimer le sang » lancée contre les Espagnols. Ils n’aiment pas le sang ; ils ne le voient pas ; mais ils aiment le jeu terrible qui se joue là, ce triomphe de l’intelligence et de l’adresse sur la brute formidablement armée.

« C’est tout simple, me disait l’un d’eux : l’Espagne a toujours été un pays d’élevage ; aujourd’hui, comme aux temps anciens, les vaqueros, dans les herbages, vivent avec leur bétail, s’essayent à terrasser les jeunes veaux, apprennent à éviter un taureau qui charge. Nos aïeux ont fait un amusement public d’une lutte que leur enseignait l’existence pastorale. Rien de plus. Nous ne sommes pas plus sanguinaires que d’autres, mais, plus que d’autres