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viendront avec leurs équipages à l’andalouse, c’est-à-dire avec des chevaux dont les harnachemens sont garnis de pompons et de franges de laine, et dont la queue est tressée de rubans assortis, tantôt verts, tantôt violets, tantôt rouges, d’un goût rare et étincelant. Los plus distinguées et les plus riches des familles sévillanes doivent toutes avoir sur le champ de foire, le long des avenues, une cabane de bois ou de toile. Les plus belles de ces casillas se louent 300 francs pour trois jours, les autres 150 francs. Toutes sont ainsi distribuées : un perron de deux ou trois marches, une petite terrasse, un salon, une salle à manger et une cuisine. On quitte sa maison la veille de la feria, on fait meubler la casilla de tapis, de tentures, de glaces et de l’indispensable piano. Puis la famille s’y installe. On se rend visite. Les jeunes filles, en mantilles blanches, se promènent sur l’estrade, jouent du piano ou de la guitare en public, ou dansent des danses sévillanes. Et la foule applaudit, criant : Viva la gracia ! Que bella ! Que guapa !

Je n’ai pas perdu mon temps, car il est un peu moins de onze heures du matin. J’entends les cloches de la Giralda qui sonnent, et je cours vers leurs volées claires.

La Giralda, la grande tour carrée, toute rose, qui domine la cathédrale, est bien le plus joli monument de Séville. Notez, de plus, qu’elle est douce d’accès et point essoufflante. On monte au sommet de la tour non par un escalier, mais par un plan incliné.

Le carillon, au-dessus de moi, tinte de plus en plus fort. Par les fenêtres, j’aperçois les toits des maisons larges comme des cartes à jouer, et les habitans qui traversent les rues ont l’air de fourmis noires dans une allée sablée. Enfin, me voici dans la galerie à jour où douze cloches, trois sur chaque façade, annoncent à Séville qu’une procession va sortir. Jamais je n’oublierai l’impression troublante qui s’empara de moi à ce moment. Songez que chacune des cloches est placée en travers d’une fenêtre, et qu’elle peut tourner librement autour de son pivot, aidée, dans ce mouvement de rotation complète, par un très gros contrepoids surmontant la coquille d’airain et fait en forme de massue ou de marteau. De la sorte, elle dépasse, à chaque volée, l’embrasure de la fenêtre, allongeant à l’air libre tantôt son contrepoids, tantôt sa large bouche retentissante. Un homme l’actionne avec une corde. Mais la corde est bientôt enroulée autour du pivot, comme sur un treuil ; il n’en reste que cinq ou six brasses ; bientôt il n’en reste plus que deux ou trois. Et voici ce que j’aperçois à droite, à gauche, devant moi. Les sonneurs