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une sorte de jardin minuscule où pousse un pied de vigne de Malaga. Au milieu des dalles de marbre du patio s’élève un bananier. Ses feuilles se tendent comme des ombrelles jusqu’aux murailles. À mi-hauteur, la fleur pend, superbe, unique, mélange de pourpre violet et de vermillon. C’est un arbre condamné, puisqu’il a fleuri. Dans un autre angle, mon ami attire à soi une sorte de volet caché dans l’épaisseur du mur, et je vois un filet d’eau vive traversant une vasque blanche. C’est là qu’on prend la provision d’eau du ménage. Celle dont on n’a pas besoin disparaît sous terre, et passe aux maisons voisines.

Nous sortons du palais, et nous passons à travers les rangs de boutiques d’un des marchés. Bien pittoresques, bien colorés, ces marchés de Séville, avec les premiers paniers de grenades qui arrivent de la plaine, les étalages de potirons à coque verte et rugueuse, les magasins de fleurs, les guirlandes d’oignons mordorés ou roses, les mannequins de poissons, au bord desquels brille toujours une petite bougie, pour que la lueur de la flamme sur les écailles fasse paraître la marchandise plus fraîche et comme vivante. Plus loin, ce sont des étourneaux, par centaines, pendus à des ficelles, des macreuses, des canards, des perdrix. Je demande quelques prix. J’apprends que les perdreaux valent de 2 fr. 50 à 3 francs la couple, un lièvre 2 fr. 50 ; que le poisson est pour rien. En revanche, les alimens les plus ordinaires et les plus nécessaires se vendent à un prix relativement élevé, ce qui explique la misère et l’anémie de la population de Séville. Le pain de première qualité coûte 0 fr. 75 les 1 200 grammes, les pommes de terre 10 francs les 46 kilos, le beurre frais 10 francs le kilo, et le beurre salé, qui vient de Danemark, 5 francs. Le vin, qui vaut 3 sous le litre, à la campagne, est frappé de 5 sous de droits d’octroi, et la barrique paye 55 francs. Le lait, enfin, monte à 12 sous le litre.

Autour de nous, dans les rues voisines, s’en vont justement des vaches conduites par un paysan. Elles se rendent à une étable en plein vent, où les cliens se présenteront et feront tirer le lait devant eux. De tous côtés trottent des files de mulets blancs, à têtières ornées de pompons jaunes et rouges. Les hommes qui les montent sont coiffés du large chapeau à bords plats. Ils sont presque tous élégans, maigres et rasés.

Nous touchons aux faubourgs. Sur les places, aux coins des rues, les enfans jouent, devinez à quoi ? Aux courses de taureaux. Le plus grand de la bande, le plus fort, se met sur la tête une planchette armée en avant de deux vraies cornes, et se précipite sur ses camarades, qui l’écartent avec un chiffon ou avec