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déclarations que, quoi qu’en disent les médecins, la mort du vice-roi ne serait pas uniquement le résultat d’une attaque d’apoplexie, et qu’une vengeance particulière ou la crainte d’un châtiment, annoncé la veille, serait venue en aide à la maladie. Je tiens ce renseignement de Saïd-Pacha lui-même, le nouveau vice-roi. » Ce qui est certain, c’est qu’on n’a jamais livré à la publicité les informations qu’on a dû recueillir et qu’on n’a jamais été fixé sur le sort des deux assassins présumés. Tous ces bruits se sont éteints dans le silence et le mystère.

Ai-je besoin de dire que Abbas-Pacha ne fut pas regretté ? « Même parmi ceux, écrivait encore notre consul général, qu’on croyait les plus dévoués au vice-roi ou qui s’étaient fait le plus remarquer par leur hostilité aux autres membres de sa famille, il n’est pas un seul homme qui ne se soit trouvé heureux d’être débarrassé du système de compression qui pesait sur l’Egypte. »

Si pesante qu’ait été au peuple égyptien la main de Mehemet-Ali, on ne saurait méconnaître les bienfaits dont il a doté le pays, ni dénier qu’il y a répandu les germes d’une civilisation destinée à se développer après lui. S’il a employé des moyens que notre temps réprouve, on peut dire, à sa décharge, qu’il n’en connaissait pas d’autres et que l’état de l’Egypte ne comportait guère que ceux dont il a fait usage quand il en est devenu le maître. Uniquement guidé par ses facultés natives, il l’a enrichie par l’impulsion qu’il a imprimée a l’agriculture, particulièrement en y introduisant de nouvelles cultures, comme celle du coton, en donnant tous ses soins à l’irrigation. Il l’a préparée à une fortune nouvelle en y propageant l’instruction publique à tous les degrés ; en brisant les barrières qui la séparaient, avant lui, du monde civilisé ; en la mettant en communication constante avec l’Europe. Il a ainsi redressé la situation économique et morale du pays. Aussi sa mémoire y est-elle, chaque jour, plus vénérée, bien qu’il soit mort dans le silence et la retraite. L’administration de son petit-fils, si elle avait duré, aurait compromis cette œuvre. Elle n’a eu qu’un avantage, celui de mettre en pleine lumière la grandeur de la tâche accomplie par le vieux vice-roi. C’est ce que je me suis proposé de montrer en rappelant rapidement les écarts d’Abbas-Pacha.


Cte BENENDETTI.