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des consuls généraux. Eh bien, si je dois être gouverné par quelqu’un, j’aime mieux l’être par le chef de tous les musulmans plutôt que par des chrétiens que je déteste. » (Extrait de la correspondance officielle.)

L’hostilité qu’Abbas-Pacha témoignait si manifestement aux Européens éveilla les dispositions malveillantes et brutales de la population musulmane, que la ferme vigilance de Mehemet-Ali avait, pendant de si longues années, contenue dans le respect du aux étrangers. Les chrétiens indigènes, et plus particulièrement les résidens venus d’Europe, furent l’objet d’agressions qui dégénérèrent en rixes sanglantes. Les représentans des puissances durent intervenir collectivement et exiger des mesures énergiques, notamment la révocation du chef de la police. « Ces dispositions d’Abbas-Pacha, écrivait M. Le Moyne, notre nouveau consul général auquel j’avais remis le service dès son arrivée, procèdent de sa nature, de son éducation, de son passé, et plus encore de son fanatisme. Esprit faible, étroit et sans culture, il est religieux sans élévation. Son grand-père, renonçant à réveiller chez lui d’autres sentimens, le menaçait constamment du jugement que l’opinion publique en Europe porterait sur sa conduite. C’est avec ces précédons qu’Abbas-Pacha est arrivé au pouvoir, et on conçoit aisément que, durant son séjour à Constantinople, on ait réussi à lui imposer une entière soumission aux volontés de la Porte. »

Un dernier trait, et je pourrais en citer plusieurs, suffira à donner la mesure de cette aine si peu digne de continuer l’œuvre de son grand-père. Sur la proposition de Clot-Bey, directeur général des services hospitaliers, le vieux pacha avait fondé, au Caire, un hospice pour les indigens des deux sexes. On y avait successivement annexé un service pour la maternité, une école de sages-femmes, une section pour la vaccination, une autre pour les aliénés. Avant l’ouverture de ce vaste établissement hospitalier, il n’existait aucun refuge, aucun centre de secours pour les malades pauvres et les infirmes ; les femmes en couches étaient livrées à des empiriques ; — les aliénés étaient logés, la chaîne au cou, dans des fosses infectes.

Par l’un de ses premiers actes, Abbas-Pacha décréta la suppression de cette institution de bienfaisance qui rendait les plus précieux services à l’humanité souffrante. Il a fallu, plus tard, la reconstituer et la rouvrir ; l’indignation publique en fit un devoir impérieux au nouveau vice-roi. En cette circonstance et pour sa propre justification, Abbas-Pacha avait invoqué l’état obéré des finances de l’Egypte ; mais simultanément il faisait construire, pour son usage personnel, dans le désert et non loin du Caire, un vaste palais, doublé d’un casernement non moins vaste pour