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d’un nombreux cortège, vint saluer le prince dont il n’avait pas voulu attendre la première visite que j’avais eu soin pourtant de lui annoncer. L’entrevue ne fut pas seulement cordiale, elle fut émouvante : ce vieillard, qui avait troublé l’Orient et agité l’Europe, allant ainsi au-devant de ce jeune prince, un adolescent, qui faisait ses premiers pas dans la vie, remua profondément tous les assistans. Le pacha serra le duc dans ses bras avec un attendrissement qu’il ne chercha pas à déguiser. Le prince s’étant excusé de ne pas l’avoir prévenu : « J’ai tenu, lui répondit le vice-roi, à donner au roi, votre père, une marque publique de ma respectueuse déférence et de mon dévouement, afin de bien manifester mes sentimens et afin que personne ne les ignore ici. » L’entretien se prolongea, et le pacha y déploya une exquise aménité. Il se révéla un autre homme que celui qu’on connaissait généralement ; il fut tendre, spirituel, affectueux, tel que j& l’avais soupçonné quelquefois dans les discussions que j’avais dû soutenir avec lui. Cet officier de fortune, venu des rangs d’une soldatesque irrégulière, avait comme la prescience d’une politesse raffinée et il prouva, en cette occasion, qu’il n’y était pas réfractaire. Ni son éducation, ni son passé, ne l’avait préparé à se présenter sous ce nouvel aspect, mais la nature l’avait doué pour tous les rôles, pour ceux-là mêmes qui étaient totalement ignorés dans les milieux où s’était écoulée sa vie.

L’accueil que le duc de Montpensier reçut à Alexandrie lui fut continué au Caire et dans la Haute-Egypte. Il m’autorisa à le suivre durant tout son voyage et je pus constater que, partout, les intentions du vice-roi étaient remplies avec un zèle empressé. Ibrahim-Pacha fut délégué auprès du prince pendant son séjour dans la capitale ; Saïd-Pacha l’accompagna dans ses excursions les plus lointaines, rapidement faites sur trois bateaux à vapeur dont celui du vice-roi qu’il avait tenu à mettre à la disposition de son hôte. Pendant les derniers momens que le duc de Montpensier passa encore à Alexandrie à son retour des cataractes, Mehemet-Ali s’ingénia à lui donner de nouvelles marques de sa sympathie que le prince accueillait avec un tact qui fut remarqué et que le pacha appréciait finement.

À un dîner qu’il lui offrit la veille de son départ et auquel j’assistais : « Je puis en toute sincérité, lui dit-il, assurer Votre Altesse Royale que j’ai le cœur rempli de la plus vive reconnaissance pour le roi et pour son gouvernement qui, dans les jours troublés comme dans les temps tranquiIles, n’ont jamais manqué de me couvrir de leur bienveillance. » Si difficile que lui fût la marche sous une température tropicale, il voulut, le lendemain. accompagner lui-même, à pied, le prince jusqu’à l’embarcadère