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puis, le lendemain, il écrivait à un ami : « Je ne comprends pas comment on peut se donner tant de mal pour cette petite sotte. Vivre tranquille, au coin du feu, sans prétentions et sans bruit, est chose plus douce que jeter son repos à la renommée, pour qu’elle nous couvre en échange de paillettes d’or. » Parfois le désir de voir des pays nouveaux était la forme que prenait son inquiétude, et les seuls mots de Grande-Grèce le faisaient frémir et pleurer. Puis, au contraire, il se persuadait qu’il ne serait jamais content de lui que lorsqu’il posséderait trois châtaigniers, un champ de pommes de terre, un champ de blé et une cabane au fond d’une vallée suisse. Dans sa chambrette solitaire de la rue du Dragon, il rêvait d’une cure de campagne ; à peine avait-il passé le Pont-Neuf que ce rêve était remplacé par celui d’une vie active et brillante; et ces variations incessantes faisaient naître chez lui le dégoût de l’existence que son imagination avait à l’avance usée. « Je suis rassasié de tout, écrivait-il, sans avoir rien connu. » Il souffrait également de sa solitude et de l’inassouvi de son cœur. A Paris, au milieu de 800 000 hommes, il se sentait dans un désert. Il cherchait des amitiés humaines, et ces amitiés le fuyaient ou le trompaient. « Où est, s’écriait-il, l’âme qui comprendra la mienne? » Il n’avait plus d’intérêt, plus de goût à rien, ni aux spectacles, ni au monde, ni aux jouissances de l’amour-propre. Il sentait sa pensée vieillir et il en découvrait les rides à travers les fleurs dont son imagination la couvrait encore. Il commençait à aimer sa tristesse et à vivre beaucoup avec elle. Mais écoutons-le nous décrire plus tard le mal dont il avait souffert : « A peine dix-huit printemps ont-ils épanoui nos années que nous souffrons de désirs qui n’ont pour objet ni la chair, ni l’amour, ni la gloire, ni rien qui ait une forme ou un nom. Errant dans le secret des solitudes ou dans les splendides carrefours des villes célèbres, le jeune homme se sent oppressé d’aspirations sans but ; il s’éloigne des réalités de la vie comme d’une prison où son cœur étouffe, et il demande à tout ce qui est vague et incertain, aux nuages du soir, aux vents de l’automne, aux feuilles tombées des bois une impression qui le remplisse en le navrant. Mais c’est en vain ; les nuages passent, les vents se taisent, les feuilles se décolorent et se dessèchent, sans lui dire pourquoi il souffre. »

C’est l’accent et presque le langage de René. Supposez maintenant que René ne fût pas devenu chrétien et prêtre. Que lui serait-il arrivé? Probablement l’éternelle et banale histoire de l’homme. Il aurait cherché l’âme qui comprendrait la sienne et il l’aurait trouvée, car ces âmes-là, on les trouve ou, du moins, on croit les trouver toujours. Il aurait aimé ; il aurait plus ou moins