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détermination inattendue a été précédée de circonstances qui lui donnent le caractère d’un événement grave. » Après avoir indiqué les causes premières de cette crise et qu’on vient de lire, notre représentant ajoutait : « Avant-hier, sur son ordre, les ministres assemblés donnèrent lecture au vice-roi du rapport qu’il leur avait demandé. Il l’écouta sans dissimuler son irritation, puis il monta en voiture et fit sa promenade ordinaire. A son retour, il se montra moins préoccupé, et il se retira dans le harem de sa fille Nazlèh, accourue du Caire, avec sa suite habituelle, dès le début de la crise. Il y resta toute la soirée ; à onze heures, il rentrait dans ses appartemens. Le lendemain 26, il était sur pied de grand matin, en proie à une vive excitation. « L’Egypte est perdue, disait-il ; je suis trahi de tous côtés. » Il donna des ordres pour un départ immédiat. A sept heures, il était sur le canal du Mahmoudich qui relie Alexandrie au Nil. Ne trouvant aucun bateau disponible, sa fureur ne connut plus de bornes. Il se retira dans le kiosque d’un jardin voisin, annonçant sa résolution de se retirer à la Mecque ; il n’admit personne auprès de lui. On lui apporta une lettre de soumission portant la signature d’Ibrahim-Pacha et de Saïd-Pacha, ses deux fils, d’Artin-Bey, son premier interprète, de ses ministres et de tous les officiers de sa cour. Ils suppliaient Son Altesse de ne voir dans leur conduite qu’un témoignage de leur dévouement, déclarant qu’ils obéiraient à ses ordres, quels qu’ils fussent. Mehemet-Ali leur fit répondre qu’il partirait pour le Hedjaz, à moins qu’on ne lui livrât le traître et l’avare. » Le traître était son fils, Ibrahim-Pacha ; l’avare, le président du conseil. Scherif-Pacha, qui avait exercé antérieurement les fonctions de gouverneur général de la Syrie et avait laissé partout la réputation d’un administrateur plus soigneux de ses propres deniers que de ceux de l’Etat. Scherif-Pacha a eu pour fils un prodigue que tout Paris a connu, Kalil-Bey, qui a galamment dissipé la fortune amassée par son père.

Sans se laisser toucher par les prières des uns, par les sollicitations empressées des autres, refusant obstinément toute audience, tout entretien même avec les princes de sa famille, Mehemet-Ali partit pour le Caire, laissant en proie aux plus vives inquiétudes, la diplomatie et son gouvernement, dont tous les représentans se trouvaient réunis à Alexandrie.

On se demandait s’il continuerait son voyage ; s’il irait, comme il l’avait annoncé, chercher la paix et le repos auprès du tombeau du Prophète. On se demandait encore si, dans ce cas, il ne sévirait pas, avant de s’éloigner, contre ses propres conseillers, contre quelques membres de sa famille. « Il me faut, avait-il dit et répété, Ibrahim-Pacha pieds et poings liés. Je l’incarcérerai pour