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avons eu à déployer n’ont pas été puisées dans nos arsenaux, ni dans notre bourse, mais seulement dans notre intelligence de la situation et dans notre caractère. Quant au résultat, c’est se tromper beaucoup que de le juger insignifiant. On se demandait en Europe si l’entente qui paraissait s’être établie entre la France et la Russie entraînerait jamais autre chose que des démonstrations bruyantes. Elle ne s’était pas encore manifestée d’une manière pratique. On ne l’avait pas vue aux prises avec une difficulté grave : on ignorait si elle tendrait à la résoudre dans le sens de l’intérêt général et de la paix, ou si elle ne suivrait pas des vues particulières au risque de provoquer des complications ultérieures. Ces questions restaient incertaines dans les esprits; les journaux les agitaient parfois avec un scepticisme ironique; elles ont été subitement résolues. Comment se méprendre désormais sur ce qu’il y a de sérieux dans la communauté de vues et de conduite établie entre la Russie et nous ? Le caractère même de notre entente s’est révélé conforme à l’intérêt de tous, c’est-à-dire à celui de l’équilibre européen en Asie. L’Allemagne a été la première à s’en rendre compte, et de là vient l’empressement avec lequel elle s’est jointe à nous. Cela aussi a été une surprise pour bien des personnes qui ne croyaient pas à la possibilité d’une action à trois, qui comprendrait la Russie, la France et l’Allemagne. Une alliance évidemment est impossible, parce qu’elle suppose un concert établi sur un ensemble d’intérêts communs, déterminant une politique commune ; elle n’est réalisable qu’entre la Russie et nous ; mais il n’en est pas de même d’une action limitée dans son objet et dans sa durée, qui peut fort bien s’exercer avec l’Allemagne sur un point et pour un but déterminés. Nous n’avons avec celle-ci, d’intérêts communs, que des intérêts accidentels, mais nous en avons, et peut-être plus nombreux encore en Afrique qu’en Asie.

Et l’Angleterre? Son attitude a été beaucoup moins décidée que celle des autres puissances depuis le premier jusqu’au dernier jour du conflit sino-japonais. On s’expliquera difficilement pourquoi lord Rosebery, après avoir suggéré une intervention commune à un moment intempestif, a refusé d’y prendre part lorsque l’opportunité s’en est enfin produite. Le traité de Simonosaki était alors connu, au moins dans ses lignes générales : le gouvernement anglais a fait savoir que ses intérêts commerciaux n’en étaient pas atteints. Cela n’est pas bien sûr, mais l’Angleterre n’a-t-elle pas d’autres intérêts encore en extrême-Orient, et ne lui importe-t-il pas, comme aux autres puissances, que la paix, si malencontreusement troublée, soit rétablie sur une base solide et durable? Son abstention reste difficile à comprendre. La Chine, évidemment, ne peut lui en savoir aucun gré : le Japon, du moins, lui conservera-t-il quelque gratitude? Rien n’est plus douteux. Si l’Angleterre avait soutenu le Japon, si elle avait approuvé