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très larges. Et qui sait si quelques-uns de ceux qui ont voulu provoquer dès aujourd’hui une agitation n’avaient pas le sentiment confus qu’il leur serait plus difficile de la soulever un peu plus tard ?

Nous ne voulons pas parler des espérances que l’esprit de parti a conçues peut-être en voyant cette agitation se produire et prendre, en quelques jours, des développemens aussi imprévus. Si elles ont existé, probablement elles sont dissipées maintenant. C’est en vain que des journaux, d’ailleurs profanes, se sont mis à sonner du clairon avec un éclat strident : tout ce bruit n’a pas sérieusement alarmé les consciences. Alors on a raconté des anecdotes, sachant que le public les aime et qu’il y voit volontiers un signe de vérité. À bout d’argumens, on a dit que M. Georges Picot avait été envoyé à Rome par M. Ribot, et que la preuve évidente qu’il avait eu une mission auprès du Saint-Père est qu’il ne l’avait pas vu. On offrait de donner d’autres preuves aussi convaincantes, d’entrer dans des détails encore plus précis. M. Picot a démenti une fois pour toutes cette sotte histoire, et ne s’est plus occupé des divagations auxquelles elle donnait lieu. Il est probable que, grâce à la lettre du Pape, le calme ne tardera pas à se rétablir. Le choix même que Léon XIII a fait de son correspondant est un indice qui a son prix. Mgr Meignan, archevêque de Tours, est un de nos prélats les plus modérés. Le ton de la lettre, le caractère de celui qui devait la recevoir, l’ajournement de difficultés actuellement trop irritantes, le conseil d’union qui sert de conclusion, on retrouve en tout cela les qualités d’un pontife qui ne dédaigne pas l’habileté humaine et la diplomatie, et qui sait admirablement les faire servir à ses desseins. Quant à M. Ribot, il a tenu à Bordeaux le langage qui convenait au gouvernement. Il a donné l’assurance que ses dispositions bienveillantes restaient les mêmes, malgré les provocations qui s’étaient produites. Les congrégations, les évêques, les catholiques ont sans doute une attitude à prendre, et ce n’est pas nous qui leur reprocherons d’user des libertés qui appartiennent à tous ; mais cette attitude, pour être digne de la cause qu’ils représentent, doit être exempte de tout esprit d’opposition systématique et de révolte. Qu’ils protestent contre la loi d’accroissement, soit ; qu’ils en poursuivent la révision, ils auront raison, nous serons avec eux ; mais ils doivent s’y soumettre, puisqu’elle a été régulièrement votée, jusqu’au jour où elle aura été non moins régulièrement rapportée ou modifiée.


Une autre partie du discours de M. le président du Conseil a, d’après les comptes rendus, soulevé des applaudissemens unanimes et particulièrement expressifs : c’est le passage relatif à la politique extérieure. « Les liens qui nous unissent, depuis 1891, à la Russie ont été fortifiés, a dit M. Ribot, et le monde entier a compris que l’action commune des deux puissances alliées est, sur tous les points du monde où