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qu’un argument qui serve. Gourville en comprit immédiatement la valeur. De ce jour il fut au Cardinal. Il négocia pour lui la paix de Bordeaux, et lui suggéra des expédiens dont il sembla à Mazarin que la loyauté était douteuse, mais que l’utilité était certaine, et donc qu’il ne laissa pas d’employer. Entre les deux aventuriers une sorte de sympathie naturelle s’était tout de suite établie qui devait être très profitable au débutant. Mazarin rendit à Gourville de réels services, dont l’un des moins contestables fut de lui ménager quelques mois de retraite à la Bastille. Avec la sûreté de son coup d’œil, il avait bien vite démêlé ce qui manquait à cet homme de bonne volonté ou plutôt ce qu’il avait en trop. Gourville avait trop de précipitation. Il se laissait emporter par le tempérament. C’était chaleur de sang et pétulance de jeunesse ; défaut presque inévitable à qui, jeté tout de suite dans les affaires, n’a pas eu le temps de se recueillir. Il y a dans la carrière des hommes d’action un moment décisif que beaucoup laissent passer : c’est le moment de rentrer en soi-même, défaire réflexion sur ce qu’on a déjà vu, et de se mûrir par la méditation ; temps d’arrêt nécessaire avant de repartir vers des destinées plus hautes. Gourville en était à ce tournant de la vie. C’est à cette minute précise qu’il vit arriver chez lui M. de La Bachelerie, gouverneur de la Bastille. « M’ayant trouvé que je répétais une courante, il me dit en riant qu’il fallait remettre la danse à un autre jour. » Le prisonnier n’eut pas à se plaindre de la façon dont il fut traité, quoiqu’il ait eu un peu à souffrir de l’ennui. Mais c’était pour son bien. Il n’eut garde de s’y méprendre ; et, dès qu’il eut permission de sortir, le premier usage qu’il fit de sa liberté, ce fut pour aller remercier le cardinal. Mazarin voulut mettre le comble à ses bienfaits ; il donna à son protégé un conseil dont c’est le cas de dire qu’il valait une fortune. Ce qu’il savait des procédés de Gourville lui avait donné l’idée qu’il ferait merveille dans les affaires de finance. Il l’engagea à se tourner de ce côté. Gourville objectait qu’il ne connaissait guère le « grimoire » dont on se sert pour ces affaires-là. Mais ce sont connaissances pratiques qu’on a tôt fait d’acquérir. Gourville avait ce qui ne s’acquiert pas ; il était abondamment pourvu des dons de nature qui font l’excellent financier.

« Le désordre était épouvantablement grand dans les finances… » C’est dire que le moment était bien choisi. Nombreux étaient déjà ceux qui avaient édifié leur fortune sur la détresse publique. « Ayant tous ces exemples-là devant moi, dit Gourville, j’en profitai beaucoup. » Il avait obtenu, dès 1658, la ferme des tailles de Guyenne. Une affaire, fort « gaillarde » et menée gaillardement, lui avait valu la confiance de Fouquet. Il fit avec le surintendant plusieurs opérations. Le détail en est édifiant. Il n’est pas moins instructif d’apprendre de Gourville comment il fut amené à faire apprécier à Fouquet ses talens. « Il me parlait un jour de la peine qu’il y avait à faire vérifier des édits au Parlement.