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d’être conséquent : car lorsqu’il a affirmé que le moi est l’unique réalité, et que le non-moi n’est que son reflet, il n’a plus ensuite qu’à se taire. Et pour ne plus se poser que dans le domaine de l’apparence, le problème de la relation du moi avec le non-moi, le problème de notre devoir et de notre destinée n’en réclame pas moins une solution.

Il ne faut pas songer enfin à doubler l’empirisme d’un soi-disant rationalisme, qui compléterait les résultats de l’expérience par les résultats du sens commun et de la raison. Et M. Balfour raille, à ce propos, l’ingénuité des théologiens qui prétendent concilier la religion avec la science, en faisant commencer l’une, simplement, au point où l’autre s’arrête : car si l’on attribue aux résultats de l’expérience scientifique une valeur absolue, le premier de ces résultats doit être de condamner toute théologie. « Au théologien qui lui proposerait une religion naturelle pour compléter sa connaissance de l’univers, le naturaliste conséquent répondrait qu’il n’a nul besoin de rien de pareil : que d’arguer de l’existence de causes dans le monde à l’existence d’une cause première hors du monde est un procédé logique extrêmement suspect, moins suspect encore, toutefois, que celui qui consisterait à arguer du caractère de ce monde à la bonté de son auteur; mais que, au surplus, ce sont là des sujets dénués d’intérêt, attendu que le Dieu ainsi inféré a terminé son unique tâche le jour où il a mis en mouvement sa vaste machine de causes et d’effets. Mais si ensuite le théologien offrait au naturaliste une religion révélée, le naturaliste devrait lui répondre que la valeur d’une révélation ne se prouve point par des argumens historiques, que l’expérience ne permet d’admettre ni l’origine surnaturelle d’une révélation ni la réalité des miracles qui l’affirment, et qu’enfin ce sont là des fables pour amuser les enfans. »

M. Balfour en vient alors à ce qui fait l’objet principal de son livre. Il essaie d’établir que ce n’est pas seulement l’expérience et la science, mais la raison elle-même qui échouent à nous fournir une explication satisfaisante de l’univers où nous vivons. Le long chapitre qu’il consacre à l’analyse de la raison est incontestablement le meilleur de tout l’ouvrage : et je regrette de ne pouvoir y insister comme je le voudrais. Non seulement, d’après M. Balfour, la raison n’a aucun droit à tenir dans la vie de l’esprit le rôle qu’elle prétend y tenir, mais il est faux que son rôle y soit vraiment essentiel. L’autorité, que la raison se pique de remplacer, c’est l’autorité qui est au fond de notre pensée comme de nos actions. « Nous ne devons pas oublier que c’est à l’autorité, et non pas à la raison, que nous devons toutes nos idées religieuses, morales et politiques; que c’est elle qui nous fournit les prémisses du raisonnement scientifique ; que c’est elle qui dirige l’humanité dans sa vie sociale. Et si je ne craignais d’effaroucher mon lecteur par une expression un peu paradoxale, j’ajouterais que la qualité