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en même temps que faire valoir leur compagnie: de là sont venues trop souvent constructions téméraires, guerres de concurrence inutiles, extensions prématurées, risques de toute espèce dont les actionnaires ont en général pâti plutôt que bénéficié. Puis l’Américain est né spéculateur. Pendant longtemps, excitée par les compétitions de bourse, et favorisée chez les grandes compagnies par la possession de valeurs de lignes dépendantes, la spéculation a joué un rôle prépondérant dans la direction des chemins de fer. Aujourd’hui on cite encore quelques compagnies qui, formées par et pour un jeu de bourse, ne sont qu’un instrument inconscient et vil dans les combinaisons des financiers qui les mènent, mais à voir l’ensemble on peut constater une amélioration sensible dans les mœurs de Wall street. Le public amis à jour les opérations des grands spéculateurs d’autrefois, des Fisk, des Drew, des Jay Gould, et l’opinion s’est éclairée; d’autre part les compagnies américaines ont appris — plus tôt même que la moyenne des particuliers — l’art de vivre selon leurs moyens, sans aller chercher au dehors des bénéfices extraordinaires et hasardeux.

Devant les dangers du régime autocratique dans la gestion, on conçoit sans peine que les capitalistes aient toujours exigé des gages spéciaux de la part des compagnies auxquelles ils prêtaient leurs fonds; cela était d’autant plus justifié que le capital social ne représentait souvent pour eux qu’une garantie fictive ou insuffisante. Ces sûretés, on les trouva dans l’hypothèque, et l’Amérique est aujourd’hui encore le seul pays du monde où cette hypothèque soit appliquée sous sa forme absolue et vraiment efficace en matière de chemins de fer. Les créanciers hypothécaires des compagnies espagnoles, par exemple, ne sauraient avoir de droit matériel sur les lignes données en gage, puisque c’est l’Etat qui en a la propriété; leur garantie ne porte que sur la concession. Au contraire, aux Etats-Unis, les obligataires ont un véritable droit immobilier qui leur donne, au cas de non-paiement, le pouvoir de faire vendre les lignes elles-mêmes avec leurs accessoires et leur matériel roulant; le crédit est réel. Dans les législations européennes, en Angleterre même, quel que soit l’ordre de préférence établi entre les obligataires, la garantie des divers emprunts est générale et s’étend sur toutes les propriétés de la compagnie débitrice ; cette généralité même fait que le gage peut être amoindri ou compromis soit par l’annexion de lignes improductives, soit même par des opérations étrangères à l’exploitation. En Amérique on a paré à cet inconvénient : le crédit est non seulement réel, mais il est aussi spécial, c’est-à-dire qu’en principe chaque ligne ou section a son hypothèque propre et indépendante. On