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des indicateurs, des brochures descriptives, souvent des calendriers et des éventails, et fait pour le moins autant de réclame qu’un mauvais journal ou un grand magasin de nouveautés. Ces moyens banals de publicité sont bons pour les voyageurs : il faut croire qu’ils ne suffiraient pas pour le service des marchandises, et vis-à-vis des expéditeurs les compagnies mettent alors en campagne le gros de leurs troupes commerciales, les soliciting agents, commandés par le general freight agent. Ces agens ont pour mission d’amener la clientèle coûte que coûte, honnêtement s’ils le peuvent, en gardant le contact avec les compagnies rivales. Les grands chemins de fer dépensent, dit-on, un million et demi à deux millions chaque année pour l’entretien de ces armées permanentes. On voit combien un pareil service commercial, né de la concurrence, ne vivant que par la concurrence, est peu fait pour amener la paix entre des compagnies dont l’état-major, autoritaire et ambitieux, n’est souvent que trop favorable aux hostilités.

L’organisation même de cet état-major est très remarquable dans les compagnies américaines ; il fait bien valoir cet esprit pratique du Yankee, lequel voit clairement dans toute question les conditions matérielles résultant des faits, et applique directement la solution courte, simple, naturelle. Il est évident que, en règle générale, une entreprise sera d’autant mieux gérée que l’autorité dirigeante aura plus d’intérêt personnel dans l’affaire ; le mandat représentatif d’un administrateur de société anonyme sera inférieur à cet égard au sentiment de la responsabilité propre que concevrait par exemple un associé en nom collectif. Les chemins de fer aux États-Unis sont des sociétés anonymes ; mais en pratique la plupart sont placés sous la domination effective d’un seul individu, ou d’un groupe d’individus, d’un party, et l’intérêt personnel replacé ainsi à la tête de l’entreprise, donne alors un caractère autocratique à l’administration des compagnies. De même qu’une ligne principale « contrôle » des lignes subsidiaires, il arrive souvent qu’un capitaliste ou un groupe de capitalistes « contrôle » une compagnie ou plusieurs compagnies par la possession de la majorité ou de la totalité des actions. C’est ainsi que le plus vaste réseau américain est formé par l’union toute personnelle dans les mains de la famille Vanderbilt de six ou sept compagnies séparées ; M. Huntington est le propriétaire effectif, sinon exclusif, du Southern Pacific ; feu Jay Gould tenait dans le Sud-Ouest au moins quatre compagnies sous sa domination. Ces railroad bosses sont bien évidemment les maîtres absolus des affaires qu’ils dirigent ; mais là même où la propriété de l’entreprise est divisée entre un grand